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L’absurde et le réel : Kubrick du roman au cinéma

.. OU LA VICTOIRE DE LA CAMÉRA OEIL

" [L’imagination] décompose toute la création et, avec ses matériaux amassés et disposés suivant des règles dont on ne peut trouver l’origine que dans le plus profond de l’âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf ". Baudelaire (In : Œuvres, La Pléiade, Paris 554, p.773)

L’absurde. Qu’est-ce que l’absurde ? Le dictionnaire nous dit :

(1)ABSURDE adj. et n. m. XIIIe siècle, absorde. Emprunté du latin absurdus, " discordant, dissonant, hors de propos ".

1. Adj. Qui va contre la raison, la logique, le sens commun. Un raisonnement absurde. C’est une idée absurde. Il est absurde d’agir comme vous le faites. Une conduite absurde. Une supposition absurde. Ce que vous dites là est absurde.

2. N. m. Ce qui viole les normes de la logique, ce qui est contradictoire, déraisonnable. Tomber dans l’absurde. Raisonnement par l’absurde, consistant à démontrer qu’une proposition est vraie par l’énoncé des conséquences qui découlent de la proposition contradictoire. Démonstration par l’absurde.

Spécialt. L’absurde, l’abîme entre les aspirations de l’homme et son expérience vécue ; l’absence de fins dernières. Le sentiment de l’absurde. La philosophie, le théâtre de l’absurde.

L’absurde n’est pas forcément ce qui n’est pas réel. Au contraire, cela peut même être parfois ce qui est vraiment la réalité, par delà les apparences. Dans les Ailes du désirs, Wim Wenders nous montre - chose absurde - un ange qui veut devenir homme.Pourquoi un ange voudrait-il se faire homme, devenir simple mortel ?

Sa motivation est en réalité louable, car cet ange veut saisir la réalité et non plus se contenter d’être un témoin. Il ne veut plus se contenter d’avoir comme tâche de noter dans un petit carnet les détails de la vie apparemment absurdes et en fait plein de vie : " une vieille dame a fermé son parapluie d’un coup sec et s’est laissé tremper ".

Cet ange veut, comme il le dit, " voir le monde derrière le monde ".

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De la même manière qu’en apparence les actes notés par les anges sont absurdes, en réalité la richesse de la vie se cache derrière cette apparente absurdité. Il est donc évident que le cinéma ne peut pas éviter d’être absurde parfois, ou de montrer des absurdités, puisqu’en fait, ce n’est pas l’absurde qui est montré, mais la réalité. On sait bien, on peut le voir tous les jours, le principe d’aller au fond des choses apparaît aux yeux de la plupart des gens comme absurde, illogique, alors qu’en fait il s’agit de la seule manière d’être vraie.

D’ailleurs, parfois le mouvement se retourne en son contraire. Les punks ont délibérément choisis l’absurde pour refuser une société qui ne veut pas aller au fond des choses.

Mais après son absorption dans le quotidien de la société capitaliste, le mouvement punk s’est retourné en son contraire. Les jeunes choisissant d’être punk ne font plus que le choix de l’absurdité, sans plus aucune liaison avec la démarche subversive initiale.

La société assassine quotidiennement la poésie, c’est ce que montre Les ailes du désir, d’où d’ailleurs le choix de présenter la ville de Berlin sous toutes ses facettes, forme poétique par excellence. Devenir humain, c’est le souhait de l’ange. Il voit la valeur de la vie, alors que les gens ne font plus attention aux détails.

L’ange voit ces détails, d’où sa volonté de devenir lui-même un être humain, de lui-même pouvoir faire ces petits gestes absurdes qui sont en fait ce qu’il y a de plus humain. On dira : c’est un film idéaliste, il ne présente pas la triste nécessité du travail salarié, il ne montre pas le racisme, le patriarcat. C’est inexact. L’aspect principal du film est l’humain lui-même. C’est une attitude très poétique, on comprend que Mao Zedong, initialement poète, ait pu formuler qu’" aller à contre-courant est un des principes du marxisme-léninisme ".

Ce qui compte c’est d’aller aux racines des choses, et pour l’être humain, la racine des choses, c’est lui-même, comme le disait Marx.

Mais étudions l’absurde en tant que tel. Les ailes du désir ont relié l’absurde au réel par l’intermédiaire d’une démarche poétique. Est-ce fondamentalement juste ?

L’absurde au cinéma présente-t-il le réel de manière meilleure que la simple présentation formelle des choses, ou bien s’agit-il d’une simple poésie décalée sans significations ?

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Partons pour comprendre cela de l’absurde en littérature, car tout part de là. Il faut noter que souvent il possède historiquement une forte connotation nihiliste, qui va à l’opposé des exigences de notre temps. Il est en effet évident qu’il y a une idéologie sous-jacente à la mise en valeur du thème de l’absurde, principalement celle qui s’est développée sous le nom d’existentialisme.

L’existentialisme est de plus un mal bien français ; Albert Camus et Jean-Paul Sartre en étant les deux représentants fondateurs. Qui plus est s’est développé, toujours en France, un courant réactionnaire anti-réaliste très puissant : le nouveau roman., qui prône la mise en avant d’une partie seulement de la réalité.

Alain Robbe-Grillet et Claude Simon en sont les partisans les plus connus, mais il ne faut pas oublier Michel Butor, Nathalie Sarraute, Robert Pinget. Marguerite Duras se rattache à cette tradition (1).

L’existentialisme est la définition du mal-être du petit-bourgeois angoissé face au monde et incapable de le comprendre. Le héros du Château de Franz Kafka en est le modèle absolu. Perdu dans le château, le héros tente de comprendre de quoi on l’accuse, mais il n’y parvient pas.

Il fait face à une machinerie le dépassant totalement. Il est incapable de comprendre les tenants et aboutissants du pouvoir.

Ce modèle est un modèle réactionnaire. Il remplace le Dieu ineffable par un monstre ineffable (l’Etat, la société), il est la correspondance artistique de la thèse fasciste du " totalitarisme ". Dans cette perspective le thème de l’absurde est anti-dialectique.

Il est l’expression de l’incompréhension du monde, pire et cela est intolérable : de l’impossibilité de comprendre le monde (et bien entendu de le changer). En ce sens, le théâtre de l’absurde apparaît comme le contraire exact du théâtre brechtien.

" En attendant Godot " est le contraire d’une pièce de Brecht où non seulement l’on n’attend rien, mais en plus où on fait la révolution, ou quand on ne la fait pas on se met à la chercher et on la trouve (2). La méthode de Brecht - montrer les contradictions - est le contraire du théâtre de l’absurde, pour lequel le monde est incompréhensible.

Il existe même une œuvre - littéraire comme cinématographique - qui est l’expression absolue de cette mise en avant idéologique de l’absurde. "1984" d’Orwell (3), avec son monde totalement oppressant sans aucune résistance à l’oppression, sans aucune opposition possible, est l’œuvre le plus anti-dialectique qui soit.

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" 1984 " est une œuvre présentant un monde où les contradictions sont définitivement neutralisées, or cela est impossible. " 1984 " est ainsi le contraire exact de la culture, le livre le plus apprécié de tout ce qui s’oppose au progressisme.

C’est une œuvre absurde, n’appelant pas à comprendre intelligemment et agir en conséquence, mais au contraire jouant sur l’angoisse, la terreur, la passivité. D’ailleurs, le livre d’Orwell devait initialement s’intituler "Le dernier homme en Europe" , ce qui a le mérite d’être d’une grande clarté quant à l’esprit du livre (4).

Mais comme justement tout est dialectique, le thème de l’absurde a su être renversé en quelque chose de positif. D’ailleurs, il suffit pour s’en prouver de voir ce jugement de Brecht :

" Si l’on m’invitait à choisir, dans la littérature de notre siècle, trois ouvrages destinés selon moi à faire partie de la littérature universelle, l’un des trois que je choisirais serait Les Aventures du brave soldat Schweyk de Hasek (5) ".

Or cette œuvre de Hasek est d’une absurdité absolue. Elle retrace l’histoire d’un soldat tchèque complètement loufoque dans l’armée austro-hongroise, ridiculisant ainsi la logique autrichienne et sa domination.

Cette présentation absurde d’un homme absurde dans une société absurde est ainsi la plus réaliste qui soit, et Brecht ne s’y est pas trompé, ni les Tchèques d’ailleurs. En fait, le lieu où l’absurde a su être le révélateur d’une sensibilité, d’une vision de la vérité, c’est le cinéma.

Le cinéma a su renverser la perspective pessimiste, voire fasciste, du thème de l’absurde. Sans doute parce que la liaison aux spectateurs était plus forte, moins "égoïste " ou narcissique. Le cinéma est toujours destiné aux masses, que le film soit fait par Godard ou à Hollywood n’y change rien.

Les sentiers de la gloire de Kubrick est précisément un excellent contre-modèle par rapport à " 1984 ". Là aussi, l’absurde du pouvoir est montré. Mais à la différence de 1984, Kubrick a montré la révolte, le combat, la lutte pour la dignité. Là où 1984 est une œuvre directement politique (l’anticommunisme y est claironné puisque la société y est tyrannisée par un " parti unique "), Les Sentiers de la Gloire montre seulement une situation terrible qui pourrait se situer ailleurs, dans un autre contexte, s’exprimer différemment, et comment il faut la combattre : par l’humanisme.

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Dans 1984, il n’y a ainsi que des situations générales, montrant par là le caractère idéologique. Dans Les sentiers de la gloire, rien de cela. On sait que c’est la guerre de 1914-1918, mais ce n’est qu’un arrière-plan.

Ce qui compte, c’est qu’au front les chefs ordonnent aux soldats d’attaquer une tranchée ennemie alors qu’ils n’ont aucune chance. Ce qui compte, c’est que le chef militaire fasse bombarder ses propres troupes car ils ne veulent pas avancer.

Absurdité des ordres, absurdité du pouvoir... Voilà le modèle de l’utilisation de l’absurde de manière progressiste, à l’opposé de 1984.

On retrouve bien sûr cette présentation de la folie absurde dans la dynamique du Docteur Folamour (peut-être l’une des plus grandes œuvres anti-fascistes) et Clockwork Orange. Quel est le secret ? Le réalisme.

Non pas le réalisme au sens strict du terme - ici on procède par l’absurde et l’absurdité - mais le réalisme de la caméra-œil.

Ce qui fait la force de Kafka, c’est la technique qu’il emploie : coller au protagoniste, montrer les choses tel que lui les voit et les ressent. Voir à travers l’œil d’un autre. Le cinéma permet un déploiement fantastique de cette capacité à créer des mondes. Le cinéma est la nouvelle poésie.

Kubrick est à cette croisée absolue du réel et de la poétique cinématographique - l’absurde - car il a puisé son énergie dans le roman, les oeuvres littéraires Lolita de Nabokov, l’Odyssée de l’espace " de Clark A, l’Orange mécanique " de Burgess, ou Barry Lyndon de Thackeray....

Dès le troisième film le roman est la source d’inspiration. Ce qui fait de Kubrick un cinéaste forcément éclectique, malgré cela très bon : policier, film noir, thriller, péplum, science-fiction, politique-fiction, comédie de mœurs...

Les genres sont variés. Kubrick est un vrai cinéaste, chacune de ses œuvres est unique. On a tenté de délimiter l’univers cinématographique de Kubrick, de trouver des schémas parallèles à ses films. C’est une grave erreur. Il n’y a rien de commun entre Orange Mécanique et 2001, L’Odyssée de l’espace.

Cette tentative de catégorisation est anti-poétique, et nuisible au cinéma d’auteur. Ce qui est commun, c’est la tentative de mise en valeur de l’espace personnel des protagonistes. On a affaire à une caméra-œil d’un genre spécial.

Elle montre non seulement ce qui se passe, mais également l’environnement des protagonistes, en définitive l’atmosphère. 2001 est formidablement poétique car l’univers du vaisseau est formidablement cloisonné : chaque astronaute se retrouve définitivement à chaque fois avec lui-même et seulement lui-même. Kubrick dira d’ailleurs :

"J’ai tenté de créer une expérience visuelle qui aille au-delà des références verbales habituelles et qui pénètre le subconscient de son contenu émotionnel et psychologique".

D’une certaine manière, l’absurde s’impose, car l’imagination ne se voit plus encadré par des nécessités factuelles (propres au film historique, au scénario ficelé de A à Z, etc.). Plus le scénario est éthéré, plus il y a de place pour la poésie. C’est pourquoi Kubrick a pu dire :

" L’image réelle ne pénètre ni ne transcende ; ce qui m’intéresse maintenant, c’est de prendre une histoire fantastique et invraisemblable et tenter d’aller jusqu’au fond, faisant en sorte qu’elle paraisse non seulement vraie mais inévitable ".

Bien sûr, il n’est pas nécessaire de coller totalement aux principes de la caméra-œil. Ce qui compte c’est le contenu, sur ce point Kubrick a toujours été admirable.

Brazil (1985) de Terry Gilliam est une excellente démonstration de cette liberté technique : la caméra-œil n’est pas systématiquement utilisée, mais suffisamment souvent pour que l’on ne retienne que le héros, son parcours, son monde, son désir, sa lutte. La domination tyrannique est montrée dans Brazil comme absurde, mais l’utilisation d’une focalisation permanente sur le héros montre la vie au travail, la rébellion.

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Cette perception permise par la caméra-œil n’est pas nécessairement liée à l’idée d’un monde oppressant. C’est ce qui fait sa richesse et ouvre aujourd’hui une nouvelle perspective.

Ainsi, le finlandais Aki Kaurismäki a utilisé une vision très proche de la caméra-œil pour le film muet "Juha", qui reprend l’histoire d’un ancien roman classique pour le transposer dans la campagne finlandaise moderne et en faire un portrait très fort.

Les sensations sont clairement ressenties, tout l’art du cinéaste ressort justement du fait qu’il ait osé choisir le muet, montrant la force de la caméra-œil pour exprimer ce qui doit être exprimer.

Chaque film est une œuvre unique. L’artiste est un producteur. L’avenir appartient au nouveau regard de la caméra-œil. Au-delà des mots, l’atmosphère : la caméra-œil.

" Je ne cherche jamais ce qui se dit avec les mots. Si ça peut s’énoncer avec des mots pourquoi faire un film ? Ce qui est bien avec les films, c’est que c’est toujours plus vaste que les mots ". Lars von Trier

" Ce qu’il y a de mieux dans un film c’est lorsque les images et la musique créent l’effet (...). Je serais intéressé de faire un film sans aucun mots(...). On pourrait imaginer un film où les images et la musique seraient utilisées d’une façon poétique ou musicale, où une série d’énoncés visuels implicites seraient faits plutôt que des déclarations verbales explicites. Je dis on pourrait imaginer car je ne peux pas l’imaginer au point d’écrire vraiment une telle histoire, mais je pense que si cela se faisait, ce serait utiliser le cinéma au maximum. Il serait alors totalement différent de toute autre forme d’art ". Stanley Kubrick,1972

(1) Voici quelques repères : 1953 : Les Gommes d’Alain Robbe-Grillet 1956 : L’ère du soupçon de Nathalie Sarraute 1957 : La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet Tropismes de Nathalie Sarraute (déjà publié en 1939) Le Vent de Claude Simon La Modification de Michel Butor 1958 : La Mise en scène de Claude Ollier 1959 :Le Planétarium de Nathalie Sarraute 1960 : La Route des Flandres de Claude Simon 1962 : L’Inquisitoire de Claude Simon 1963 : Pour un Nouveau Roman d’Alain Robbe-Grillet 1965 : Quelqu’un de Robert Pinget 1985 : Prix Nobel attribué à Claude Simon

(2) Le roman de Michael Rebboah, Perte, venant de sortir aux éditions Nicolas Philippe, est fondé sur ce modèle.

(3) Le film fut fait par Michael Radford en 1984, avec Richard Burton comme acteur principal.

(4) Ce n’est évidemment pas sans rappeler le fameux " ni trust ni soviet " des fascistes. Orwell est présenté comme quelqu’un de gauche, voire d’extrême-gauche, alors que ses œuvres ont, juste après la seconde guerre mondiale, clairement été comprises comme des œuvres anti-soviétiques. C’est également le cas pour l’autre écrivain du " totalitarisme ", Huxley.

(5) Brecht, 16 août 1955, in : Brecht, Essais sur la littérature et l’art, Les Arts et la révolution, L’Arche, 1967



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Autour d’Eraserhead, Blue Velvet et Mulholland drive de David Lynch

"Sordid details following." David Bowie

Décor et envers du décor : la madelon et le gangsta-rap

Une oeuvre d’art qui montre l’envers du décor doit aussi montrer le décor, sinon elle n’est pas efficace.L’efficacité de l’œuvre, ce n’est pas autre chose que la dialectique qui la travaille, à savoir : décor + envers du décor = mouvement de l’œuvre et œuvre en mouvement.

On pourrait définir l’absurde comme l’envers de ce décor homogène qu’est la réalité. L’étranger de Camus, c’est l’étranger à la réalité homogène, l’étranger au monde. Mais la première chose à réaliser pour faire sentir le décalage entre le décor et son envers, c’est de mettre les deux parties en présence.

Par conséquent tout travail artistique qui a pour but de révéler l’absurde de la réalité se doit, à un moment ou à un autre, de signifier cette réalité du point de vue non-absurde. Ce point de vue non-absurde a pour nom idéologie dominante, c’est elle qui quotidiennement nous vend ses yeux pour que nous ne voyions le monde à sa manière.

Pour la combattre il faut donc commencer par retourner ses propres armes contre elle, autrement dit, pour faire voir l’envers de l’idéologie dominante, il faut commencer par la faire voir, elle, toute entière. Une fois posé ce postulat, on comprend ce qui pose problème dans tant d’œuvres d’art prétendument subversive.

Ce qui ramène ces travaux au niveau des œuvres consensuelles, c’est le fait qu’un seul point de vue y est développé. Dans le cas de l’œuvre prétendument subversive, il s’agit d’un regard oppositionnel, et dans le cas de l’œuvre consensuelle il s’agit du regard de l’idéologie dominante.

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Pour prendre un exemple, il n’est pas évident qu’une chanson de Gangsta-rap soit plus intéressante que La Madelon.On peut même dire que ces deux œuvres souffrent du même défaut : elles ne montrent qu’un aspect de la réalité, chaos et violence pour l’une, esprit grégaire et gaudriole pour l’autre.

Chez aucune des deux ne sont mises en présence les deux visions du monde antagonistes que sont l’idéologie dominante et la pensée rebelle. La Madelon ne nous intéressant pas vraiment, on peut dire au sujet du Gangsta-rap que trop de révolte sans dialectique tue la révolte. Et par-delà ces deux extrêmes, bien loin d’eux, nous avons tout de même quelques œuvres plus fines.

Entre autres nous avons celles de David Lynch.

Lynch artiste de l’absurde

On peut dire que Lynch est un cinéaste de l’absurde si on prend l’absurde dans l’acception du terme suivante : est absurde ce qui a priori ne possède ni sens, ni organisation, ni but.

Cependant nous verrons que, en dessous des apparences, le cosmos lynchien est soumis à de terribles puissances, bien définies. Mais tout d’abord concentrons-nous sur l’art de la mise en scène du réalisateur de Wild at heart.

Le déroulement du film lynchien consiste en un dévoilement de l’absurde caché derrière la réalité, en une révélation dont le but est de faire éclore une nouvelle vision de la réalité qui réunisse vision première ordonnée et nouvelle vision, cataclysmique, de la réalité.

Pour Camus l’absurde prend naissance entre autres dans les catastrophes de l’époque moderne ainsi que dans le sentiment qu’a l’individu d’être plongé dans un univers inintelligible, sentiment dont le langage n’est pas capable de témoigner.

Y a-t-il ici quelque chose de contradictoire avec la sensation que font naître les films de Lynch ? Par ailleurs n’oublions pas que l’absence de changement est la pierre d’angle de l’absurde. Or, on découvre souvent à la fin des films de Lynch que rien n’a vraiment évolué dans l’ignoble ordonnancement du monde (même dans la scène finale de Blue velvet, véritable happy end, la vision d’un rouge-gorge dévorant un cafard laisse pressentir que l’horreur continue son œuvre, dissimulée sous les apparences).

Un autre aspect de l’absurde lynchien réside dans la rétention d’informations. En gardant cachés certains détails capitaux, Lynch fait naître le sentiment de l’absurde.

Rappelons-nous la scène de Blue velvet où Jeffrey Beaumont - et donc le spectateur - surprend une discussion entre Dorothy Vallens et un mystérieux interlocuteur ; le texte dit par Isabella Rossellini est totalement chaotique parce qu’on n’entend pas les paroles prononcées par la personne à l’autre bout du fil.

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Le procédé est classique - Lynch n’est pas souvent un novateur - mais est poussé à bout et est donc redoutablement efficace. Lynch sait aussi faire naître l’absurde de scènes où tout est visible mais complètement antinomique. Les dialogues d’Eraserhead seraient tout à fait ordinaires s’ils n’étaient pas en total décalage par rapport aux images qui leurs sont liées.

"Occupe-toi de l’enfant cette nuit, moi je suis fatiguée", dit à peu près sa femme à Henry Spencer - parole que l’on peut entendre au sein de n’importe quel couple - en parlant de leur bébé monstrueux.

Ici ce qui crée l’absurde, c’est la difformité de l’enfant, pas les préoccupations des personnages, après tout très banales. Pour Lynch, c’est parce que les êtres sont étranges que la vie l’est, pas l’inverse.

Une société malade

"L’oisiveté où végètent ces pauvres malheureux est une peste et voilà c’est dans les villes et campagnes sous ce soleil plus fort un mal général et ayant appris autre chose, certes pour moi c’est un devoir d’y résister." Vincent Van Gogh

Si - comme on peut donc s’autoriser à le faire - on considère le réalisateur de Lost Highway comme un artiste de l’absurde, on est obligé de prendre en compte le reproche - souvent justifié - qui est fait à certains virtuoses du non-sens : selon eux le monde serait incompréhensible et tenter de démêler les ficelles de l’univers serait impossible et angoissant, le refus mystique de l’action étant la seule ligne de conduite valable.

Si on faisait ce procès à Lynch, on oublierait sa vision critique de la société, vision qu’il développe dans la plupart de ses films : dans Eraserhead la famille monstrueusement aliénée, dans Blue velvet la petite ville américaine hypocrite, dans Lost Highway les victimes de la société "schizophrénisante".

Dans ses films, Lynch plante souvent en premier lieu un décor réel, à travers lequel il fait passer sa vision brute du monde au sens le plus large du terme ; on peut dire qu’il développe ainsi une cosmogonie.

Ensuite il décline les différentes facettes monstrueuses de son cosmos, jusque là cachées.

Il met alors en scène les tensions individuelles liées à la cellule familiale, telles qu’elles ont été explorées par la psychanalyse (la belle voisine - sorte de maman-putain accompagnée par un homme dégoûtant - que Henry Spencer, le héros de Eraserhead, voit par un trou de serrure fermer sa porte derrière ce qu’on devine les prémisses d’une scène primitive), l’aliénation (le bras paralysé à force de travail du père de la fiancée de Spencer, les rêves de gloire de Betty, la jeune femme blonde, dans Mulholland drive)...

On voit que - sans être Brecht, ce qui n’on ne lui demande pas d’être - Lynch développe une critique sociale relativement exhaustive.

Lynch absurde : la question de la divinité


"Même le bon Dieu nous a laissés tomber" The stranglers

Le sentiment de l’absurde est lié à la conscience de l’absence de Dieu, soit qu’il se trouve loin (pour le non-croyant que décrit Pascal), soit que nous adorons d’autres idoles (comme le fait le séducteur kierkegaardien), soit que nous le refusons (tel Judas au bout de sa corde), soit qu’il est mort (ce que professent Nietzsche et Bataille pour ne citer qu’eux), soit qu’il est inaccessible et que le monde est le domaine des divinités maléfiques.

Cette dernière option est celle des gnostiques et c’est aussi probablement celle de Lynch.

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En effet, que nous montre le réalisateur de Twin peaks dans ses films ?

Un cosmos, encore une fois à première vue privé de sens, qui est l’envers de l’univers rationnel, mais qui en dernière analyse est parfaitement organisé.

L’organisation du cosmos absurde, qui apparaît dès que l’on creuse la réalité et qu’on se détourne de ses artifices, est en fait l’ordre réel du monde, sous-jacent au monde.

Et cet ordre du monde est tout entier sous-tendu par la conviction que Dieu s’en est retiré.

Pour preuve le petit homme maladif de Mulholland drive (que l’on a déjà vu dans des œuvres lynchiennes précédentes), qui semble un moment tirer les ficelles de l’univers mais qui finit par abdiquer devant les forces du mal.

Et pour preuve encore dans ce même film cet homme au sourire démoniaque qui nargue le "héros", en lui montrant qu’il a le don d’ubiquité et qu’il peut s’introduire chez lui en son absence. Le petit homme maladif, ce n’est pas autre chose que le "bon" dieu que certains gnostiques pensaient impuissant et exilé loin du monde.

Et l’homme omniscient au sourire démoniaque, n’est-ce pas une de ces terribles divinités auxquelles croyaient les gnostiques, qui s’ingénient à faire régner le mal et la folie sur Terre (d’autant que ce personnage peut être vu comme la personnification de la jalousie maladive du héros, une sorte de dieu de la jalousie en somme) ?

A côté de ces deux protagonistes on peut encore égrener la liste des autres démons lynchiens : dans Mulholland drive le clochard noir de suie qui manipule le carré-microcosme, atroce boite de Pandore d’où sortent des petits bonshommes cauchemardesques et hilares qui s’en vont hanter le monde, dans Eraserhead déjà, 25 ans plus tôt, l’ouvrier qui actionnait la machine pour jeter dans le monde monstres et malheurs, dans Lost highway encore la petite tête de singe au regard fixe qui semble amener l’angoisse vers son apogée, etc... etc...

Pour Lynch il y a toujours un ou des ordonnateurs du grand cauchemar qu’est le monde. Ces ordonnateurs sont protéiformes, changent de visages selon les films, mais ils sont toujours bien présents.

Même The straight story, film que l’on a trop vite qualifié de moins tourmenté que les autres oeuvres de Lynch, est du début à la fin fondé sur cette grande ordonnatrice qu’est la mort.

Michel Chion a raison de faire remarquer que beaucoup des personnages de Lynch sont hiératiques, se tiennent immobiles comme des sphinx, des divinités (1).

Dans sa monstruosité et son étrangeté, le panthéon lynchien n’est pas sans avoir un air de famille avec celui des gnostiques, dont Bataille avait exposé quelques représentations particulièrement absurdes dans la revue Documents en 1930 : des archontes à tête de canard et un dieu à jambes d’homme, corps de serpent et tête de coq (2).

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Il y a donc une cosmogonie lynchienne qui n’a rien à envier dans son horreur et son absurdité à celle des gnostiques. Rien à lui envier dans son humour non plus mais nous verrons cela un peu plus loin. Revenons un instant à la question du cosmos.

La dialectique des deux univers

"Très souvent, lorsqu’on n’aperçoit que la partie, c’est encore pire que de voir le tout. Le tout a peut-être une logique, mais hors de son contexte, le fragment prend une valeur d’abstraction redoutable, ça peut tourner à l’obsession." (3)

Voilà, tout est dit par Lynch lui-même. Le monde est un tout organisé, ses éléments ne le sont donc pas moins et l’absurde cauchemar (pléonasme) naît de l’observation de ces éléments.

Dans la citation de Lynch, ce qui est le plus important c’est le peut-être. "Le tout a peut-être une logique"... Cependant on ne peut que l’entrevoir, parce que les démons prennent soin d’empêcher l’homme de saisir rationnellement les tenants et les aboutissants du cosmos.

Les démons forcent l’homme à s’enfoncer dans sa condition de créature imparfaite et régie par les plus bas instincts, en même temps qu’ils l’empêchent de comprendre comment fonctionne l’univers. Si on remplace les démons par les valets du capitalisme, on aura une parfaite définition de l’aliénation.

Mais si Lynch met en scène l’aliénation, il y insuffle un caractère métaphysique saisissant.

Entre gnosticisme et critique de la société schizophrénisante capitaliste, Lynch réussit à créer un lien d’une grande force, lien qu’avait déjà senti Bataille quand il écrivait que l’originalité de la gnose tient dans l’idée que la matière est un principe actif, ayant son existence autonome, et qu’en pensant cela les gnostiques ouvraient la voie vers le matérialisme dialectique (4).


L’oreille coupée : microcosme, macrocosme et sas de communication

Il y a en apparence plusieurs mondes qui se mélangent comme des flux dans les films de Lynch, jusqu’à arriver, dans Mulholland drive, à une pelote indémêlable d’univers enchevêtrés.

Pourtant ce ne sont pas à proprement parler des mondes hétérogènes, non : ce sont les différentes facettes microcosmiques du même macrocosme, le macrocosme changeant de nom selon la sensibilité du spectateur qui va mettre l’accent sur un aspect de cet univers plutôt que sur un autre.

Le macrocosme lynchien peut s’appeler psychisme mais aussi capitalisme, humanité, existence, etc... Quant aux microcosmes, ce sont bien sûr les personnages, mais aussi les objets dans lesquels on entre pour passer d’une dimension à une autre, tels la boite de Pandore de Mulholland drive, l’oreille coupée de Blue velvet ou le radiateur d’Eraserhead.

Ce dernier objet est le sas de communication vers l’envers du décor intérieur de Henry Spencer, c’est-à-dire le monde de ses rêves.

Après y être entré, on finit par déboucher sur l’ouvrier en train d’actionner la machine qui ordonne le monde, personnage que l’on a vu au début du film.

Par le rêve on a donc rejoint la réalité ; cela est encore plus probant quand Lynch révèle la clef d’Eraserhead à travers le rêve de Spencer - qui y voit sa tête être arrachée de son corps - à savoir que l’amour n’est pas différent de la castration.

Les rêves ont un message, ils sont les voix de l’autre réalité, les voix des divinités gnostiques, et ainsi rêve et réalité se lient dans une synthèse dialectique inexorable.

Chez Lynch rêve et réalité sont les deux visages du même monde et en tant que tels interviennent autant l’un que l’autre dans la marche de l’univers.

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De même les gnostiques avaient dressé l’organigramme du cosmos (cercles, démons, archontes, etc...), dont les parties sont liées de manière dialectique.

Pour eux la moindre parcelle de l’homme était enchaînée à l’ordonnancement du monde, le psychisme était donc une source de tourments infinis, à l’image de l’univers.

Au bout du compte, chez Lynch comme chez les gnostiques, ce qui est incompréhensible et inéluctable, écrasant et indépassable, c’est le monde intérieur, c’est l’esprit humain.

Mais une dernière précision s’impose, sans laquelle on ne pourrait pas sérieusement penser que Lynch est un véritable artiste de l’absurde.

Il s’agit juste de rappeler que ses films sont très drôles.

Il y a dans Eraserhead une scène de repas - une scène de fous - où Henry Spencer, sous les regards déments de sa "belle-famille", découpe d’étranges petits poulets qui gigotent et dégorgent un sang noirâtre.

Rares sont les spectateurs qui ne se tordent pas de rire en visionnant cette scène.

Et ce rire, c’est le rire d’angoisse que devaient laisser éclater les gnostiques lorsqu’ils contemplaient le ciel étoilé, ce toit d’un monde insensé, et c’est le rire souverain de Nietzsche et de Bataille, et c’est encore le rire crépusculaire des hommes rendus fous par la société totalement malade.

Ce n’est sûrement pas pour rien que l’une des personnes victimes des "méchants" dans Blue velvet est surnommée Van Gogh.

Notes 1) Michel Chion, David Lynch, Cahiers du cinéma, 1998, p.231. 2) Georges Bataille, "Le bas matérialisme et la gnose" in Œuvres complètes tome 1, pp. 220-226, planches XV et XVIII. 3) Citation de David Lynch, in Michel Chion, op. cit., p.216. 4) Georges Bataille, op. cit.

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La parole à Lars von Trier

"Car avec les Idiots, pour la première fois j’ai pu tourner un film en couleurs naturelles sans me sentir coupable. Avant, les films en couleurs me paraissaient fades, il fallait que je trafique les couleurs pour que ça ne ressemble pas au standard Kodak. Je voulais tout contrôler.C’est ainsi que j’ai débuter ma carrière de cinéaste : en contrôlant tout. Et grâce aux règles du Dogme, il s’agit maintenant pour moi de contrôler le moins possible. Voilà mon cheminement. C’est pour cela que les règles du dogme sont faites pour moi."

In Les Inrockuptibles n°152

"Nous avons trouvé dans la maison où habitent les Idiots, une paire de vieux skis. Vu qu’ils étaient là, il fallait s’en servir. Nous avons donc tourné une scène de ski en plein été. Cela résume parfaitement l’esprit Dogme : prendre en compte le hasard, et intégrer l’imprévu"

In Le Monde 22 mai 1998

"Chaque fois que voulez éviter de poser la main sur le mal qui a ôté la vie à l’un de vos patients : c’est l’angoisse de la vie communautaire."

In L’hôpital et ses fantômes

"Extase cinématographique, c’était tellement beau que j’en ai pleuré en tournant et aussi en rentrant à la maison, ainsi je me suis trouver brusquement dans un état d’exaltation et tout d’un coup la peur, peur de mon talent.

Lorsqu’on réussit une scène comme celle-là, c’est pour cela que je parle d’extase, on est soudain, saisi d’une peur, peur que dans un accès de rage, un poing énorme descendu du ciel vous écrase instantanément comme un moucheron.

Je me suis dit, maintenant c’est sûr je vais attraper un cancer, je vais sûrement attraper un cancer, comment pourrait-il en être autrement quand on est allé aussi loin."

In Journal Intime sur le tournage de " Les Idiots "

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Tonari no Totoro (mon voisin Totoro) de Hayao Miyazaki (1988)

Dans les années 50, non loin de Tokyo, deux petites filles s’installent avec leur père à la campagne, afin de se rapprocher de l’hôpital où séjourne leur mère malade.

A leur arrivée dans la vieille maison traditionnelle japonaise le merveilleux se manifeste : la petite Mei découvre les Susa-atari (noiraudes), petites boules de poussières noires qui s’enfuient dès qu’elle s’en approche. Elle les poursuivra avec sa sœur aînée Satsuki dans toute la maison.

Ainsi dès le début de l’histoire, un monde imaginaire se développe en parallèle à la réalité.

En effet, si l’action se déroule au milieu de forêts, de rizières, dans une campagne japonaise typique où coulent des rivières, l’apparition des Susa-atari, êtres de légendes, fait appel aux croyances shintô dans les esprits de la nature, croyances qui peuplent les histoires racontées aux deux petites filles.

Tout au long de ce film d’animation vont ainsi se superposer réalisme et onirisme.

Bientôt Mei rencontre dans le jardin Chu-Totoro et Chibi-Totoro, qu’elle suit au milieu des arbres pour finalement se trouver nez à nez avec Dai-Totoro, le gardien géant, rond et velu de la forêt.

Elle fera part de sa découverte à sa sœur, qui ne tardera pas à le rencontrer elle-même.

A partir de ce moment, le récit se tourne résolument vers le thème de l’ami imaginaire.

Quoi de plus réconfortant pour deux fillettes dont la mère est malade que ce gentil monstre, qui les emmène dans des sarabandes effrénées, fait pousser en une nuit des arbres immenses...

L’histoire, le simple quotidien de la famille (avec les visites à l’hôpital, les cours à l’école, le père que l’on attend le soir à l’arrêt de bus) devient alors une aventure merveilleuse où tout est extraordinaire.

Totoro peut tout mais reste d’une naïveté enfantine lorsque Mei et Satsuki lui font découvrir le parapluie, Totoro voyage en " chat-bus ", Totoro vole, joue de l’ocarina ...

Le souci de réalisme de Miyazaki n’empêche pas de donner libre court à l’imagination.

Il met ainsi en scène les esprits de la forêt dont les japonais sont familiers. Il pousse loin les limites de l’imaginaire, mais chaque apparition merveilleuse se rattache à la réalité. Hayao Miyazaki associe de façon harmonieuse réalité et imaginaire.

Ainsi, lorsqu’une nouvelle terrible arrive à Mei et Satsuki : leur mère ne pourra pas sortir de l’hôpital à la date prévue, c’est là que l’aide précieuse de Totoro sera indispensable.

En effet, Mei décide de rejoindre sa mère pour lui offrir un épi de maïs " magique ", et se perd seule dans la campagne. Malgré l’aide de tout le village, la fillette reste introuvable et ce ne sera qu’à l’aide du chat-bus que Satsuki la retrouvera.

Le film se termine ainsi, sur l’épi de maïs déposé auprès de la mère, promesse de jours meilleurs, sous l’œil des deux petites filles assises dans un arbre auprès du chat-bus.

Tout au long du film, nous constatons que Mei, la plus jeune, est toujours l’instigatrice des apparitions : elle découvre les Susa-atari, puis Totoro, et entraîne sa sœur dans son monde onirique.

Satsuki plus adulte, plus responsable et qui s’occupe de sa sœur, se sert d’elle comme d’un vecteur pour passer dans le pays des merveilles de Totoro.

Il est à noter que le père n’assiste à aucune de ces apparitions. Mieux, lorsque Totoro danse dans le jardin la nuit, et qu’il regarde par la fenêtre, il ne le voit pas.

Finalement, deux réalités se superposent : est ce un bus ordinaire ou réellement un chat-bus à huit pattes qu’elles attendent à l’arrêt de bus et qui les emmènent ?

Tout au long du film, les deux mondes restent cohérents.

Qui pourra prouver que dans les arbres centenaires ne se cache pas un Totoro ? Seuls les enfants peuvent le voir.

Totoro, rêve ou réalité ?

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David Lynch parle

" Pourquoi se préoccuper des termes, des classifications ? Si le "surréalisme" vient d’une façon naturelle, de l’intérieur, c’est bien ; un surréalisme voulu, fabriqué, serait affreux. "

(La revue du cinéma, N°424. Février 87)

" Le cinéma, pour moi, c’est un désir très fort de marier l’image au son. Lorsque j’y parviens, j’en éprouve un véritable frisson. En vérité, je ne suis pas sûr de chercher autre chose que ce frisson. "

(Studio magazine, N°63, juin 1992)

" Je déteste entendre les réalisateurs parler de leur travail et encore plus le faire moi-même. Je n’aime pas qu’on explique. Si ça n’est pas dans le film, c’est que c’est raté, le film doit rester un mystère. Même pour moi, il faut qu’il garde un pour cent d’insaisissable. J’aime l’abstrait, mais le public n’y est pas habitué. Je déteste que tout soit convenu d’avance ou compréhensible. "

(Première, Août 1996)

" J’aime tout ce qui dépasse l’entendement. Tout ce qui entoure la vie, et que nous ressentons sans nécessairement le percevoir clairement, me fascine. C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai écrit "Eraserhead". C’est sans doute aussi ce qui me poussait auparavant vers la peinture, à laquelle je me destinais à mes débuts... La lecture du scénario d’Elephant Man a, inévitablement, produit un choc en moi. C’était une sorte de réconciliation entre l’horreur et le reste du monde, l’émotion mise au service du monstrueux. Il existe un tel contraste entre le physique repoussant de cet homme et son âme si belle, tellement pure et généreuse, tellement plus pure et plus généreuse que celle de la plupart des êtres normaux. Il me semblait impératif de lui rendre justice. "

(Première N°49, Avril 1981)

" Ce que je pourrais dire sur ce que j’ai voulu raconter dans mes films n’aurait aucune importance. C’est comme si vous déterriez un type mort depuis quatre cent ans et que vous lui demandiez de vous parler de son livre. "

(La revue du cinéma, N°424, février 1987)

" Blue Velvet est une chanson de Bobby Vinton écrite dans les années cinquante, que j’ai découverte - et beaucoup aimée - dans les années soixante. Une chanson qui m’a inspiré un certain état d’esprit. Quand au velours, c’est un matériau extraordinaire, sensuel, riche, lourd... presque organique. "

(La revue du cinéma, N°424, février 87)

(A propos de la ville de Salzbourg, Autriche :) " Je pensais surtout que j’étais à 7000 miles du plus proche Mac Donald. " " Je ne sais pas ce qui serait arrivé si j’avais continué à faire des films comme Eraserhead. Je ne sais pas si j’aurais pu continuer à faire du cinéma, tout simplement. "

(L’Ecran fantastique N°53, Février 1985)

" Je compare toujours ça à la pêche. Vous vous asseyez sans faire de bruit et rien ne se passe pendant assez longtemps. Et soudain, ça mord... et vous avez une idée. Plus la ligne s’enfonce et meilleur est l’appât, plus le poisson que vous prendrez sera gros. Il ne faut pas forcément se taire, mais être ouvert à tout ce qui peut arriver... être attentif. "

(Le journal du cinéma. Canal +. Mars 96)

" Les idées, il suffit de les laisser en quelque sorte nager. Vous n’avez pas affaire à des gens qui vont les juger. Vous n’avez pas à vous préoccuper de ce qu’elles veulent dire. Ce ne sont que des "feelings", et vous savez intuitivement ce qui marche. Cela peut donner quelque chose d’honnête si vous vous maintenez à ce niveau, et si vous laissez ces idées nager librement dans un coin ou vous pouvez les pêcher et les sortir de l’eau. "

(Midnight movies, new-York, 1983)

" Il ne faut pas se préoccuper de les exprimer par des paroles ; ce qu’il faut, c’est les traduire dans le langage du film. Les traduire par un petit "plop" sur la bande son et un petit plan dans une séquence. Retrouver le sentiment qui correspond à l’idée qu’on s’en faisait. Le scénario écrit arrive à tuer beaucoup de films qui auraient pu être abstraits ou différents. "

(L’écran fantastique, N°53, février 1985)

" Lorsqu’on a une idée pour la première fois, elle recèle une puissance intrinsèque. Il faut essayer de ne pas oublier le sentiment que l’on éprouvait au moment où l’on a eu cette idée, et y rester fidèle. "

(L’écran fantastique, N°53, février 1985)

" La plupart de mes idées sont parfaitement spontanées. Et puis je fais le tri en surface pour voir comment une idée peut succéder à la précédente et former un tout avec. Pareil pour les scènes : comment, au nom de quelle logique s’enchaînent-elles ? Elles se combinent entre elles, et on commence à entrevoir quelque chose d’où peuvent surgir des tas d’autres idées. Mais à partir du moment où un certain nombre d’idées se sont enchaînées, le moule est coulé, et il faut que toutes les autres idées s’y conforment. "

(La revue du cinéma, N°424, février 1987)

" Il faut vous sentir libre de toute réflexion. Les idées surgissent, elles s’enchaînent les unes aux autres et ce qui les fait tenir ensemble, c’est l’euphorie qu’elles déclenchent en vous. Ou la répulsion qu’elles vous inspire : dans ce cas là, vous les éliminez. Si vous partez dans un film en vous fixant à l’avance des limites à ne pas dépasser, il y a des chances que cela restreigne votre histoire... "

(Première, Novembre 1990)

" Mon imagination ressemble à un grille-pain automatique d’où sortent les idées... "

(Première, Novembre 1990)

" Une route permet d’aller vers l’inconnu. Nous allons de l’avant, et en même temps nous charrions notre passé, en même temps nos pensées nous éloignent de la route. Il devient difficile de différencier ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. "Mulholland Drive" parlera de ça "

(David Lynch, entretien avec Elisabeth Lebovici et Didier Péron, Libération, 3 janvier 2001)

" Je ne vois pas pourquoi les gens attendent d’une oeuvre d’art qu’elle veuille dire quelque chose, alors qu’ils acceptent tout à fait que leur vie à eux ne rime à rien. "

(Libération, 23 mars 1996)

" J’adore Jacques Tati. Je l’adore pour son talent, la tendresse de son cœur et son amour pour l’humanité. (...) Je suis désolé qu’il soit parti dans l’amertume. Je ne comprends pas que sur la fin les gens se soient pas allés le voir pour lui dire à quel point il était un grand réalisateur. "

(15-05-02)

" La télévision, c’est du télé-objectif, tandis que le cinéma, c’est du grand-angle. On peut jouer une symphonie au cinéma alors qu’à la télé on est limité au grincement. Seul avantage : le grincement peut être continu. "

(Libération, 05 Juin 1992)

" J’apprécie l’accessibilité de la télévision. Les gens sont dans leurs meubles, personne ne les dérange, ils sont au mieux pour entrer dans un rêve. "

(Libération, 05 Juin 1992)

" La télé a changé depuis Twin Peaks, je ne sais plus ce qui est en jeu : ils regardent du côté des "tendances", des statistiques, toutes sortes de chiffres. Les gens ne prennent plus de décision comme pouvaient le faire les grands producteurs d’autrefois. La peur les gouverne, ils n’utilisent plus leur intuition et il leur est donc plus facile de dire "non" que "oui". Mais, pour moi, c’est une bénédiction : le processus s’est enclenché, Canal + est arrivé, et c’est une belle histoire - même si on a été dans le brouillard pendant un certain temps. "

(Liberation, Janvier 2001)

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Kubrick parle

"La meilleure façon d’apprendre, c’est de faire."

" J’aime un départ en lenteur, ce départ qui pénètre le spectateur dans sa chair et qui l’engage tellement qu’il peut apprécier les notations délicates et les passages empreints de retenues au lieu qu’il faille lui taper sur la tête par des paroxysmes dramatiques et un suspense raccrocheur. "

" Je crois que le devoir du réalisateur, c’est une fidélité totale à ce que l’auteur a voulu dire, c’est de ne rien sacrifier de cette signification pour obtenir un effet ou un paroxysme dramatique. "

" Si vous avez la chance de faire un film, votre style personnel résultera en fait de la façon dont votre esprit fonctionne ; celui-ci s’imposant sur les facteurs qu’on peut en partie diriger et qui existeront au moment où vous démarrerez : à la fois le temps dont vous disposerez, l’impression que donneront les décors et la qualité qu’auront les acteurs tel ou tel jour. "

" Le réalisateur dispose de moyens qui peuvent abuser le public et faire qu’il s’attende à. une fin heureuse alors qu’il y a des moyens subtils de le rendre conscient du fait que le héros est condamné sans rémission et qu’on ne va pas au-devant d’une fin heureuse. "

" Toute forme d’art, correctement pratiquée, implique un va-et-vient entre la conception et l’exécution, l’intention originale se modifiant sans cesse alors qu’on s’efforce de la réaliser objectivement... quand on fait un film, le même processus se poursuit d’humains à humains. "

" Il y a une importante partie de l’art moderne qui n’est pas intéressante, où l’obsession de l’originalité a produit un type d’œuvre qui est peut-être original mais nullement intéressant. (...) Je pense que dans certains domaines, la musique en particulier, un retour vers le classicisme est nécessaire afin d’arrêter cette recherche stérile de l’originalité. Les films bien sûr sont loin de ces problèmes parce que l’attitude à l’égard du cinéma est si profondément conservatrice. Les films pourraient aller beaucoup plus loin qu’ils ne vont . Il n’y a aucun doute qu’il serait agréable de voir un peu de folie dans les films. Au moins ils seraient intéressants à regarder. "

" Je ne suis jamais tombé sur une idée cinématographique nouvelle - et récente - qui me frappât parce que particulièrement importante et qui eût quelque chose à voir avec la forme. Je crois que toute préoccupation de l’originalité formelle est plus ou moins stérile. Un individu vraiment original, avec un esprit vraiment original, ne sera pas capable d’œuvrer sur une formule vieillie et c’est tout simplement qu’il fera quelque chose de différent. Les autres feraient mieux de penser à la forme comme étant une sorte de tradition classique et s’efforcer de travailler dans ce cadre. "

" L’impression que me donne le fait de tourner un nouveau film est à chaque fois la même. Il y a un phénomène extraordinairement suggestif d’intemporalité. Les choses redeviennent exactement les mêmes que lorsque j’avais 18 ans et que je travaillais à mon premier film. Et le temps semble totalement aboli. "

" Filmer aussi économiquement que possible, et avec toute la beauté et la grâce possibles. En dehors de cela tout ce que vous pouvez faire est soit de poser des questions, soit de donner des observations sincères sur le comportement humain. "

" J’estime que ceci est essentiel : si un homme est bon, de savoir par où il est mauvais et de le montrer ; si un homme est fort, de décider à quel moment il est faible et de le montrer. Et je crois qu’il ne faut jamais tenter d’expliquer pourquoi il en arrive là, ou pourquoi il en arrive là, ou pourquoi il fait ce qu’il fait. "

" L’homme s’est détaché de la religion, il dû saluer la mort des dieux et les impératifs du loyalisme envers les états-nations se dissolvent alors que toutes les valeurs anciennes tant sociales qu’éthiques sont en train de disparaître. L’homme du vingtième siècle a été lancé dans une barque sans gouvernail sur une mer inconnue.

S’il veut rester sain d’esprit la traversée durant, il lui faut faire quelque chose dont il se préoccupe et quelque chose qui soit plus important que lui-même. "

"Je ne pense pas que les écrivains, les peintres ou les cinéastes oeuvrent parce qu’il y a quelque chose qu’ils désirent particulièrement dire ; il y a quelque chose qu’ils ressentent. Et ils aiment la forme artistique : ils aiment les mots ; ou bien ils aiment l’odeur de la peinture ; ou encore ils aiment le celluloïd, les images photographiques et le travail avec les acteurs.

Je ne pense pas qu’aucun artiste véritable n’ait jamais été orienté par quelque point de vue didactique, même quand il pensait que c’était le cas. "

" Je n’ai jamais fait de très gros succès avec un film. J’ai acquis une réputation petit à petit. On pourrait dire, j’imagine, que je suis un réalisateur heureux. dans la mesure où l’on parle souvent de moi en termes flatteurs.

Mais aucun de mes films n’a jamais reçu d’accueil enthousiaste unanime, et aucun n’a jamais été une affaire du tonnerre. "

" Un film est - ou devrait être - beaucoup plus proche de la musique que du roman. Il doit être une suite de sentiments et d’atmosphères. Le thème et tout ce qui est à l’arrière plan des émotions qu’il charrie, la signification de l’œuvre, tout cela doit venir plus tard. Vous quittez la salle et peut-être le lendemain, peut-être une semaine plus tard, peut-être sans que vous vous en rendiez compte, vous acquérez quelque chose qui est ce que le cinéaste s’est efforcé de vous dire. "

" C’est le contenu et les idées qui viennent en premier. Après, on peut se soucier de la manière de les filmer. Ces idées de mise en scène ne sont presque jamais dans un scénario.

Peu importe si vous avez longtemps pensé à une scène, si vous l’avez minutieusement préparée quand vous arrivez au moment de la tourner et que vous avez les acteurs dans leur costume, et que vous regardez le décor, et que vous vous souvenez des choses que vous avez déjà faites, cela est toujours différent de tous les projets que vous avez pu avoir, de tout ce que vous pensiez faire.

D’ordinaire on doit retravailler l’action entièrement et très souvent il faut aussi changer le dialogue. "

" Trouver une histoire qui fera un film, c’est comme trouver la femme de sa vie. Il est très difficile de dire comment on s’y prend ou quand cela va se passer. Certaines histoires se contentent de surgire au hasard d’une rencontre. "

" Dans un film policier, c’est presque comme dans une corrida : il y a un rituel, un schéma sous-jacent qui font que le criminel ne peut s’en tirer ; de telle sorte que, si vous pouvez suspendre un instant votre connaissance de ce fait, il reste, tout au fond de votre esprit, une petite certitude qui connaît et vous prépare à accepter le fait que le héros ne réussira pas. Ce type de fin est aisément admis. "

" Le soldat est fascinant parce que toutes les circonstances qui l’entourent sont chargées d’une sorte d’hystérie. Malgré toute son horreur, la guerre est le drame à l’état pur car elle est une des rares situations où les hommes peuvent encore se lever et parler pour les principes qu’ils pensent leurs.

Le criminel et le soldat ont au moins cette vertu d’être pour ou contre quelque chose dans un monde où tant de gens ont appris à accepter une grise nullité, à affecter une gamme mensongère de pose afin qu’on les juge normaux... Il est difficile de dire qui est pris dans la plus vaste conspiration : le criminel, le soldat ou nous. "

" J’ai une certaine faiblesse pour les criminels et les artistes ; ni les uns ni les autres ne prennent la vie comme elle est. Toute histoire tragique doit être en conflit avec les choses comme elles sont. "

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Manifeste pour un cinéma auquel les enfants ont droit

(rédigé en octobre 1977, publié dans O de conduite n°23-24)

Du 27 janvier au 1er février 1976, à la Maison des Arts et de la Culture de Créteil, s’est tenue la première Semaine Internationale sur le Cinéma et les Enfants, au cours de laquelle a été inaugurée la Semaine Cinéma et Enfants de l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (A.F.C.A.E.).

Prenant le relais de cette initiative, des responsables de l’ex-section cinéma de la M.A.C. de Créteil et des directeurs, animateurs et administrateurs d’une quinzaine de Maisons de Jeunes et de la Culture ont décidé :

la rédaction d’un Manifeste qui revendique pour les enfants le droit à un cinéma différent,

l’organisation d’une IIème Semaine Internationale sur le Cinéma et les Enfants, prévue pour le premier semestre 1978.

Ce manifeste s’adresse à tous ceux qui, dans leurs domaines respectifs, luttent pour une désaliénation des enfants et pour qu’ils acquièrent une plus grande autonomie dans leur environnement social.

Des constats de carence concernant la situation actuelle du cinéma en France ont déjà été dressés, constats auxquels nous ne pouvons que souscrire.

Mais, nulle part, ne figure une analyse critique de la situation spécifique du cinéma pour enfants, tant au niveau de la création / production qu’à celui de la diffusion et de l’animation.

Or, notre pratique quotidienne nous y confronte douloureusement.

Nous appelons l’ensemble des personnalités, organisations, associations en accord avec ce Manifeste, à soutenir notre action auprès des Pouvoirs publics, en signant et en faisant circuler ce texte d’une part, en favorisant l’organisation de débats publics et de manifestations sur ces questions d’autre part.

Nous prévoyons une conférence de presse afin de rendre publique la liste des personnalités et représentants d’associations qui se seront déclarés solidaires de cette action, en remplissant et en nous renvoyant le bulletin ci-joint.

Comité d’Organisation de la IIème Semaine Internationale sur le Cinéma et les Enfants Françoise de Chalonge (animatrice à la MJC Courbevoie), Bernard Mathonnat (directeur) et Anne-Sophie Zuber (animatrice) - Christian Heintz (administrateur de la MJC Créteil Mont-Mesly), Jean-Jacques Mitterrand (directeur) et Henri Touati (administrateur) - Didier Benoit (directeur de la MJC Créteil-Village) - Jacques Avrillon (directeur de la MJC Epinay Orgemont) - Bernard Ninot (directeur de la MJC Fresnes) - François Clavel (directeur de la MJC Houilles) et Sylvie Pittet (animatrice) - Alain Louédec (animateur MJC La Celle Saint Cloud), Chantal Maire (directrice) et Gérard Prévost (directeur) - Martine Guerrault (administratrice de la MJC Neuilly Plaisance), Noël Orsat (animateur) et Gabriel Vitaux (directeur) - André Abaléa (directeur de la MJC Pontoise) - Hélène Gossel (directrice de la MJC Saint Maur) et Philippe Tisserand (directeur) - Yvette Blin (directrice de la MJC Sartrouville) - Philippe Kaufmann (directeur de la MJC Vallée de Chevreuse), Richard Magnien (animateur) et Khaled Toumi (directeur) - Dany Finance (directeur de la MJC Vandoeuvre) et Jean-Jacques Varret (directeur) - Jack Mercier (directeur FRMJCRP) - Jean-François Camus et Gérard Lefèvre (ex-Section Cinéma de la M A.C de Créteil).

1/ Des carences - des besoins

Les enfants, dans la vie quotidienne, sont constamment confrontés aux images diffusées par la télévision, publicité, bandes dessinées et ne peuvent y échapper.

Dans le domaine du cinéma, le seul choix donné aux enfants à travers ce contexte est généralement la production Walt Disney et la " cinémathèque rose-verte " des films de rigolade et d’aventure : une entreprise de conditionnement idéologique et artistique uniquement basée sur le profit.

Il n’y a pas ou très peu de films français.

Les films étrangers sont distribués uniquement par le circuit non-commercial (fédérations de ciné-clubs Jean VIGO, UFOLEIS, FFCC...).

2/ Pas de cinéma pour enfants actuellement en France. Pourquoi ?

La diffusion des films n’est pas assurée.

L’absence d’encouragement à la création limite la réalisation.

Par ces manques, le Centre National du Cinéma et les distributeurs restreignent à l’évidence l’intérêt du film pour enfants en le dévalorisant vis-à-vis de la profession et des publics.

Le cinéma pour enfants n’est pas ressenti comme nécessaire ni rentable par ceux qui en France, font et diffusent le cinéma (les grands circuits d’exploitation). Par contre, les mêmes grands circuits d’exploitation utilisent l’enfant comme client consommateur à certaines périodes (le film friandise des jours de fête).

D’où l’opération de conditionnement dès le plus jeune âge de la clientèle cinématographique à un certain cinéma.

Cautionnant ces carences, la production et la diffusion quotidienne d’émissions télévisées destinées à la jeunesse suffisent à l’idéologie dominante pour intégrer l’enfant à la société actuelle et lui en faire adopter les valeurs.

NOUS REVENDIQUONS un cinéma spécifique pour les enfants de moins de dix ans : reconnaissance de la différence (au niveau du développement, du vécu, des intérêts, du statut).

Accepter cette différence ne veut pas dire qu’enfants et adultes vivent dans des mondes séparés.

NOUS REVENDIQUONS un cinéma ni moralisateur (intégrateur), ni enseignant (" instructif "), ni distractif (d’évasion, d’illusion).

NOUS REVENDIQUONS un cinéma qui ne soit pas mineur, mais d’exigence esthétique et de recherche.

NOUS REVENDIQUONS un cinéma qui tienne compte de la réalité sociale où vit et lutte l’enfant.

Un cinéma qui contribuera à lui donner une appréhension de la vie au travers de sa sensibilité et de son imaginaire où naissent réflexion, analyse et critique.

Le " voir " est une activité créatrice.

NOUS REVENDIQUONS un cinéma qui permette à l’enfant d’acquérir une autonomie de comportement dans son environnement social.

3/ Nos revendications aux pouvoirs publics Nous dénonçons la rentabilité d’un film basé sur un profit immédiat où le capital est à réinvestir le plus rapidement possible.

Le processus économique du " film pour enfants " doit s’analyser en terme d’amortissement sur plusieurs années (générations successives de spectateurs) et non plus sur quelques semaines.

Nous revendiquons : un secteur de production et de diffusion nationalisé (cf. note) : cogéré paritairement par un organisme public (type Centre National de Cinéma), les organismes professionnels du cinéma et de la TV, les associations concernées par le développement d’un cinéma " d’art et d’essai " pour enfants.

Un soutien technique structural et financier aux initiatives. Ce soutien devrait, à tous les niveaux s’accompagner de contrats (entre les pourvoyeurs de fonds et les bénéficiaires) et d’un " cahier des charges". a) la production : aides à la création (recherche, écriture, réalisation). (cf. note) b) la distribution : aides à l’acquisition de droits de films, au tirage de copies..., à la promotion des films c) l’exploitation :

1. détermination des horaires, du nombre des séances, du prix des places (détaxation...)

2. en ce qui concerne l’exploitation indépendante, nécessité d’accords de programmation avec les organismes socio-culturels locaux.

3. développement des salles du secteur associatif (MJC, Comités de quartiers...)

4. aide des pouvoirs publics au secteur non-commercial de diffusion du cinéma pour enfants (les fédérations de ciné-clubs, les Festivals...)

Note : nous dirions maintenant : " Nous revendiquons : un secteur de diffusion (distribution, exploitation) d’intérêt public... " et nous ne demanderions plus d’aide spécifique à la création et production compte tenu des résultats navrants que cette aide publique a engendrés depuis des dizaines d’années dans les ex-Pays de l’Est, ceux d’Europe du Nord, en Angleterre ou au Québec... La création et la production doivent rester " indépendantes " et ne pas être " ciblées vers des publics d’enfants. (NDLR)

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