Cliquez ici pour revenir à la page principale


CINÉMA ET PORNOGRAPHIE

Le cinéma a toujours été conçu comme devant être vu par les larges masses. Cela tient au média même – un film produit, diffusé largement, visible dans une salle de cinéma. Si l'on regarde les écrits des premiers grands cinéastes, on voit très bien qu'ils n'ont jamais conçu autre chose qu'un cinéma populaire.

Le cinéma d'auteur existant aujourd'hui n'est pas un choix qui a été fait subjectivement, mais la conséquence de l'existence des monopoles du cinéma, comme Hollywood.

Et c'est justement parce que le cinéma non commercial a été expulsé des circuits de distribution... commerciaux, qu'est né un cinéma alternatif, expérimental. L'un n'existe pas sans l'autre, chacun profite de l'existence de l'autre.

De la même manière, avec la technologie VHS pour les magnétoscopes puis DVD, la voie était ouverte pour une grande offensive du cinéma commercial pour un cinéma de consommation pure. Car qui dit VHS et DVD, dit films destinés uniquement à une distribution en magasins et loueurs de cassettes et de DVD. C'est de là que naît la pornographie telle qu'on la connaît aujourd'hui.

Cela signifie que la production est directement associée à la distribution. Cela est naturellement également le cas pour un film d'auteur ou un film de type hollywoodien.

Un cinéma fait sa marge sur la vente de popcorn, ou bien, s'il diffuse des films d'auteurs, ce qui est déjà plus rare, sur la fidélisation de sa clientèle.
Il n'y a rien de tout cela dans le domaine du film pornographique. Il est semblable à un appareil photo jetable. Il relève du consommable pur et simple, sans aucune apparence culturelle comme peut en avoir un cinéma de quartier.

Et comme il est consommable rapidement, il est le rêve d'une production capitaliste toujours à la recherche de marchés pour liquider de nouveaux produits. Le film pornographique est la marchandise parfaite, car son besoin est perpétuel.

Qu'est-ce qui distingue un film de 1992 à un film de 2005? Rien, pourtant le consommateur ne s'intéressera principalement qu'aux nouvelles sorties, alléchées par le marketing et la mode des « porn stars. » Preuve de cela : les chiffres.

Ils ont été à la hauteur des espérances des investisseurs. Le film pornographique pèse lourd : 12 milliards de dollars de chiffre d’affaires, notamment par les 10% de la navigation sur Internet et les 25% des requêtes sur les moteurs de recherche.

C'est d'autant plus impressionnant quand on sait que les règles de la pornographie sont extrêmement simples. L'action prédomine absolument toute l'esthétique, au point que les éléments du décor y sont subordonnés, d'où les nécessaires salles de billards, garages, chambres à coucher, rebords des piscines, etc.

L'action prédomine également le caractère des personnages: si un facteur, un policier ou un voisin passe dans le champ de la caméra, il doit participer de facto aux scènes.

Le caractère jetable du film pornographique ne tient donc pas seulement à l'aspect sexuel. Le film pornographique est en quelque sorte l'aboutissement ultime de l'évolution du film en lui-même, dans la mesure où il est kilométrique et jetable. Il est l'antithèse absolue du film d'auteur, considéré traditionnellement comme très intéressant mais « passablement chiant. »

Considérer le film pornographique comme relevant simplement de la pornographie, le film n'étant qu'un support, c'est ne pas voir l'aspect principal : le film pornographique est une marchandise.

La genèse du film pornographique nous révèle les traits les plus marquants de cette marchandise. Elle nous montre en effet comment est né le besoin pour cette marchandise. Pour qu'une marchandise existe il faut en effet un marché, et le DVD pornographique est directement issu du cinéma commercial en salles.

Le cinéma en salles n'a jamais été intéressé par un cinéma pour les masses, son option commerciale l'amène à vouloir un cinéma pour les individus. Il était inévitable alors qu'il aborde les individus frustrés sexuellement de la société, principalement les hommes, et qu'il en fasse l'apologie.

La pornographie a revendiqué dès ses débuts un aspect libérateur individuel. L'individu masculin n'a plus à s'autocritiquer, il n'a qu'à profiter de « situations nouvelles » : le fantasme de la femme s'offrant à lui. Le caractère « sulfureux » est toujours directement lié à une apologie complète de l'individu, quel que soit les valeurs s'exprimant.

Cet aspect libéral libertaire est on ne peut plus clair lorsqu'on voit One Summer Day / Animal Lover. Ce film produit en 1970 par le photographe danois Ole Ege et le sculpteur américano-japonais Shinkichi Tajiri se déroule avec en musique de fond La Symphonie pastorale de Beethoven, et l'on y voit l'« actrice » Bodil Jensen y pratiquer la fellation et la pénétration avec différents animaux.

Le point de vue, l'action, tout part d'un choix individuel, et l'aspect social est fondamentalement rejeté, au profit d'un public d'individus. La notion même de film pornographique nie l'existence sociale au profit du simple aspect individuel.

L'aboutissement logique de cet aspect dominant est le film à caractère « gonzo », désormais totalement prédominant dans le film pornographique. Il s'agit du film amateur filmé en DV et commercialisé ou bien simplement mis sur le net, où la personne qui filme fait partie de l'action.

Le film pornographique est par excellence le film intimiste individuel destiné à être montré socialement pour obtenir une reconnaissance sociale individuelle. L'acte en tant que tel fournit la justification sociale. L'individu « agit », pour lui-même, par lui-même.

Il va de soi que l'idéologie libérale-libertaire a dû liquider les aspects relevant véritablement de la libération sexuelle, dans des sociétés occidentales encore très prudes dans les années 1960-1970.

Il existe des films possédant vraiment un aspect éducatif et libérateur. Les deux « classiques » suédois de Vilgot Sjöman, réalisateur déjà connu à leur sortie, que sont Jag är nyfiken-en film i gult (Je suis curieuse – un film en jaune, 1967) et Jag är nyfiken-en film i blått (Je suis curieuse – un film en bleu, 1968) sont des films contestataires, reprenant les couleurs du drapeau suédois et présentant une sociologue enquêtant sur les ouvriers, les syndicalistes, les jeunes et les femmes.

Les thèmes abordés relevaient de la prison, de la religion, de la lutte des classes.

Il s'agit d'un cinéma-vérité. Ces films prennent un caractère pornographique soft lorsque des relations sexuelles sont présentées devant le palais royal suédois.

Ils ne sont pas gratuits en tant que tel. L'actrice principale Lena Nyman jouera également dans l'œuvre très connue de Bergman Sonate d'Automne; Bergman était lui-même l'auteur de Un été avec Monika, l'un des premiers films à montrer une femme nue.
De la même manière, Kärlekens språk (Le langage de l'amour, 1969) de Torgny Wickman consiste en manuel cinématographique de l'acte sexuel, avec de véritables présentations des scènes par des docteurs de Suède et des USA.

C'est ce film que le protagoniste de Taxi Driver va voir au cinéma dans le film.

Mais le capitalisme savait qu'il était aisé de faire de la sexualité un fétiche. L'acte sexuel recommencé et recommencé, si on le coupe de tout principe culturel, peut être le fondement d'une marchandise inépuisable.

Il aurait été tout à fait logique que le film contemporain contienne des scènes que l'on considère comme pornographique. Pourquoi les scènes se coupent-elles toujours lorsqu'on va vers un acte sexuel ? Pourquoi la sexualité n'aurait-elle droit d'être représenté que dans les films pornographiques ?

La raison en est simple : il est bien plus rentable d'avoir la sexualité comme prétexte à l'écoulement de marchandises que comme aspect de la vie réelle.

Une sexualité épanouie, montrée librement dans un film passant à la télévision, n'est pas aussi intéressante pour le capital qu'un marché aussi inépuisable que la variété de fétichismes existant dans une société bannissant la sexualité de la culture depuis Freud. Un fantasme en DVD ? Le capitalisme le propose.

De la collégienne soumise à l'éjaculation de plusieurs hommes sur le visage d'une femme, du léchage de pieds aux fantasmes urinaires, de la zoophilie à la double pénétration anale.
Il n'est aucunement un hasard que la pornographie soit née dans les pays scandinaves. L'idéologie protestante y joue un rôle très important.

Si dans le catholicisme l'individu est libre du moment qu'il se soumet à l'église et va se confesser, le protestantisme est une religion d'individus se trouvant toujours face à Dieu, avec en plus un concept sous-jacent de prédestination.

L'église ne vient pas s'immiscer dans la vie privée, se contentant d'apporter du réconfort face à l'angoisse de la mort.

Ainsi, tout est permis. Le Danemark et la Suède n'interdisent pas le nazisme, ni la zoophilie, et la pédophilie a été interdite surtout sur la pression de l'Europe. La pornographie était ainsi acceptable en tant qu'investissements financiers, le protestantisme étant comme Marx le notait une religion capitaliste en soi.

La société suédoise ne s'y est d'ailleurs pas trompée, dans la mesure où les femmes se sont largement opposées à cette évolution, notamment par la Riksaktionen mot Pornografi och Prostitution (Action nationale contre la pornographie et la prostitution) et la Folkaktionen mot Pornografi - FmP (Action Populaire contre la Pornographie).

Le mouvement féministe s'est opposé à l'acceptation de la zoophilie, la pédophilie ainsi que la violence et la coercition sexuelle, mais à part la pédophilie rien n'a changé. Les lois contre la coercition sexuelle ne se voient pas appliquées, quant à la zoophilie on a simplement accordé quelques droits aux animaux.

Les contradictions de la société suédoise font que coexistent d'un côté le grand monopole suédois du porno Private Media Group (première société du genre à être côté au NASDAQ), et de l'autre côté une pression féministe ayant abouti à la pénalisation des usagers de la prostitution en 1990, après une enquête parlementaire de 700 pages en 1981.

L'industrie du film pornographique a beaucoup appris de l'opposition sociale à la pornographie. Elle a compris que la marchandise pouvait être vendue partout, mais qu'elle ne devait pas heurter le statu quo culturel de la société.

C'était la condition sine qua non pour sa diffusion de masse. Il a fallu donc diviser le travail, comme dans toute entreprise capitaliste se respectant. L'industrie du film pornographique obéit ainsi à des règles très précises, défini par les normes morales et culturelles dominantes.

C'est ce qui a amené les plus grands producteurs – Vivid, Wicked, VCA, Flynt - à développer des films opposés aux gonzos. Les gonzos sont naturellement le plus largement distribués, mais les films pornographiques classiques répondent désormais à la liste dite « cambria. »

Cette liste a été révélée au public le 18 janvier 2001 et s'appuie sur les travaux de l'avocat Paul Cambria. Elle consiste en l'explication des limites à ne pas franchir pour ne pas exposer l'industrie à des risques de critique de la part de la société, et risquant de bloquer la diffusion massive des films pornographiques.

Les critères sont : pas d'expression faciale exprimant la douleur, particulièrement pour les pochettes des cassettes et DVD, pas d'éjaculations faciales individuelles ou collectives, pas de crachats ou d'échange de salives, pas d'utilisation de nourriture comme objets sexuels, pas de rapports sexuels dans la nature (champs, routes, etc.), pas de pénétration avec le poing, pas deux sexes masculins proches d'une bouche, pas de bondage, pas de pénétration homosexuelle, pas de godemichet collectif, pas de transsexuels ni de bisexuels, pas de dialogues « dégradants » au moment des actes, pas de scénarios abordant l'inceste, le viol, les menstruations, ni de couples interraciaux.

Naturellement, ce que l'on retrouve sur le net correspond exactement aux « interdits » que l'industrie se donne. Le marché est juste subdivisé.

Les films disponibles sur le net sont donc tous caractérisés par la violence à l'encontre de la femme ou des femmes, l'éjaculation faciale est obligatoire et est souvent collective, les « bizarreries » (bondages, transsexuels, bisexuels, etc.) sont mises en avant, les godemichets échangés, les femmes boivent le sperme dans des verres, etc.

Là où le gonzo montrera une femme désireuse d'acheter une robe de mariée avoir des rapports sexuels avec plusieurs vendeurs proposant un rabais et finissant par avoir ceux-ci urinant sur elle habillée en mariée, l'industrie du disque produira des productions s'appuyant uniquement sur les « porn-stars, » des femmes considérées comme « très belles » selon les standards de l'idéologie dominante.
Les gonzos montrent les gens de tous les jours, dans des scènes fondamentalement glauques et trash, alors que l'industrie fournit du rêve, destiné à être vu à la télévision câblée ou un DVD.

Seule la compagnie Extreme, de Rob Black, fournit les sex-shops en films ultra violents présentant des viols, meurtres, etc. et a dû faire face à des procès.

En divisant ainsi le travail, l'industrie du film pornographique peut viser l'homme moyen, d'autant plus moyen que les hommes sont réduits au-delà de leurs classes sociales au dénominateur commun : leurs pulsions sexuelles, coupées de toute existence sociale.

Les grandes chaînes d'hotel Marriott, Westin et Hilton fournissent ainsi du pay per view pornographique à tous leurs clients, et cette industrie fondée sur les pornstars est immense, puisqu'il y a désormais 11.000 films par an produits aux USA au début des années 2000, contre 2.000 en 1990. 12.000 personnes travaillent à plein temps dans cette industrie en Californie, qui fournit 36 millions de dollars d'impôts. A côté de Los Angeles, Amsterdam et Montréal ont rejoint le peloton de tête de la production de films pornographiques.

L'une des actrices les plus connues du X, Jenna Jameson, une « miss » devenue show-girl puis actrice du porno avec l'appui de sa famille et gagnant un million de dollars par an, explique que: « La manière dont je regarde cela, c'est que c'est une sorte d'art pour moi.

Je ne le fais parce que c'est gratifiant par rapport à un autre homme. Je le fais car c'est mon travail et que je divertis les masses.

C'est comme être Julia Roberts, mais en allant un tout petit plus loin, juste un pas plus en avant. »

Vendre du rêve, et à ce titre le « divertissement adulte » comme on l'appelle aux USA est une marchandise comme les autres, justifié par la demande. Telle est la logique de l'industrie.

Revenons-en justement à la genèse du film pornographique pour comprendre comment est né le phénomène de porn star, tout à fait logique dans le capitalisme qui lance des modes de consommation par l'intermédiaire d'individus.

Initialement, le film porno a joué sur l'aspect « libération sexuelle » et femmes faciles en Scandinavie. C'est la demande et le rêve « scandinave » qui a servi de justificatif à l'industrie. Lors des débuts, c'est la fameuse série « danoise » produite par la Cambist Pictures de Lee Hessel : Sex Seeing in Copenhagen, Sexual Freedom in Denmark, A Day with Ilse, Dagmar's Hot Pants, Wide Open Copenhagen, Pornography in Denmark, Sex in Copenhagen, Pomo: Made in Denmark, Pornography in Denmark, la série des « Ilsa » et Bordello, et le « succès » de l'époque 1001 Danish Delights, qui met en avant différentes positions sexuelles et obtint la consécration lorsque Playboy reproduit la scène d'un homme copulant avec une femme sur un cheval.

Le cliché danois a par la suite cédé la place à la catégorisation par « pornstars. » La catégorie gonzo et le net fournissant les films avec « la voisine » ou « la fille d'à côté », la production industrielle de films s'est focalisée sur les stars. Les actrices sont connues par un film qui « marque les esprits, » sans encore véritablement faire une « carrière. »

Il y a ainsi Marilyn Chambers pour Behind the green door, qui fut d'ailleurs le premier film porno largement distribué aux USA, et a rejoint par la suite un parti libertaire électoraliste.

Mais personne ne sut ce que devint Bambi Woods, l'actrice du « hit » Debbie does Dallas, où une cheerleader tente de se procurer de l'argent par tous les moyens sexuels. Gloria Leonard fut la « star » de The opening of Misty Beethoven, un film de 1975 qui fut le premier gros budget du genre, avec un scénario plus élaboré et un tournage en Italie et à New York. Georgina Spelvin. Georgina Spelvin eut la chance dans The devil in miss Jones de jouer une femme réincarnée sur terre par le diable pour vivre des aventures sexuelles.

Cette première vague about très vite à ce qu'on a appelé le « Golden Age of Porn » où les actrices fondent une vie professionnelle en tant que « sex performer », comme le dit Seka (Dorothiea Hundley Patton), l'une des « pornstars » majeures voire « légendaires » dont la carrière traverse toutes les années 1980.

Des hommes pouvaient alors également être connu, comme Ron Jeremy, connu pour pouvoir pratiquer une fellation sur lui-même et avoir tourné dans 2.000 films, tout en finissant par en diriger 100 autres, ou Mike Horner (719 films). On trouve des individus se revendiquant comme actrices, comme Ginger Lynn (155 films), Veronica Hart (Jane Esther Hamilton, 150 films), Vanessa Del Rio (200 films), Annette Haven, Vickie Lynch, Traci Lords...

Et d'ailleurs ces « individus » rompirent souvent avec le porno, contrairement aux « stars » des années 2000 totalement liées à l'industrie. Annette Haven refusa tout film contenant de la violence ou du bondage. Vickie Lynch prit un nom « native american » comme ses origines : Hyapatia Lee; elle fut féministe, défenseuse du droit des animaux et de l'environnement et rompit tout lien avec le porno.

Linda Susan Boreman, qui fut la première star du porno, connue sous le nom de Linda Lovelace, a joué dans le premier « blockbuster » du film Deep Throat (gorge profonde), qui retrace les aventures et mésaventures d'une femme dont le vagin est dans la gorge.

Elle expliquera par la suite que les scènes ont été faites alors qu'elle avait un pistolet sur la tempe, qu'elle n'a gagné aucun argent du film, et qu'elle avait été obligé de se prostituer.

Elle rejoindra le mouvement féministe et des personnalités féministes comme Andrea Dworkin, Catharine McKinnon et Gloria Steinern, et publiera « Out of Bondage », une sorte d'autobiographie tentant de régler ses comptes avec son passé.

Traci Lords (Nora Louise Kuzma) dut affronter la même difficulté. Elle fut actrice dans une centaine de films pornographiques avant même d'avoir 18 ans, ce qui attira les foudres de la justice américaine.

Elle rompit par la suite avec la pornographie pour une carrière d'actrice et de chanteuse. Dans la chanson pro féministe « Little Baby Nothing », un duo avec le groupe « Manic Street Preachers », on la voit chanter devant un triangle rose marqué du marteau et de la faucille et mettre une poupée ken bodybuildé dans un mixer.

Aucune de ces stars n'aurait accepté les pratiques de Rocco Siffredi comme les pénétrations anales sauvages où à la fin de l'acte la tête de l'actrice est précipité dans les toilettes, ses exigences de directeur à ce que les actrices pratiquent des fellations à des « simples passants », ou que ses acteurs nettoient l'anus d'un actrice avec leurs langues.

Ou encore le World’s Biggest Gang Bang 1 avec 251 hommes pratiqué par Annabel Chong (dépassé en 2004 par Lisa Sparxxx et 919 hommes), les bukkake d'origine japonaise (éjaculation d'une dizaine d'hommes sur une femme)

Les années 1990 et internet ont en effet accéléré la désintégration de l'aspect individuel encore existant jusque là.

Les stars du X sont désormais construites par l'industrie, engrangent des profits élevés, et leur carrière passe par la vente de photos et de films sur leurs propres sites internets, etc. Ces stars ont des plans de carrière, rien n'est laissé au hasard.

Le magazine Adult Video News dispose d'un site internet avec une base de données énorme et des informations au jour le jour, sans compter les awards ou récompenses annuels, dont la liste est énorme et va de la meilleure scène de deux femmes faisant l'amour dans un film DVD au meilleur second rôle, de la meilleure scène anale en film aux meilleurs effets spéciaux, etc.

L'idéologie du film pornographique a naturellement besoin de se prétendre éloigner des gonzos pour se justifier. En fait dans les deux cas il s'agit d'acteurs et d'actrices rémunérés, mais dans un cas il doit s'agir d'un choix fait volontairement, de manière raisonnée et de l'autre d'un acte sexuel « forcé » ou « par hasard. »

Les pornstars tiennent ainsi toutes un discours intellectuel pseudo-justificatif. En France on a connu le discours soi disant progressiste d'Ovidie, qui mettait en avant une pornographie féministe, alors que sa pratique cinématographique ne s'est jamais distingué en rien des films classiques de la pornographie n'étant pas du gonzo.

Il s'agissait d'une démarche commerciale, typique des pornstars qui doivent se mettre en avant, attirer de la publicité, etc.

La stratégie d'Ovidie en France a par exemple été de se présenter comme la personne typique refusant le porno mais vivant une révélation par « rapport à la libération sexuelle. » Sa biographie sur son site explique que « A seize ans, elle commence à louer des films pornographiques, d’abord dans le but de les critiquer.

Puis elle se rend compte progressivement d’un décalage entre ses discours féministes anti-pornographie et les vidéos qu’elle regarde. »

Tout le discours est fondé sur une éthique pseudo démocratique.

Ayant elle-même quitté le rôle d'actrice et fondé sa propre entreprise comme tout bonne personne entreprenante le fait lorsqu'elle peut passer de l'autre côté du miroir (social), une soi disant charte précise que « Dans le but qu'elles puissent éprouver un plaisir non simulé, qu'il soit sexuel ou spirituel, et dans le but également que toutes les scènes de sexe ne soient pas identiques, les actrices sont libres de choisir les pratiques sexuelles qu'elles vont accomplir. »

Ce qui n'a naturellement aucun sens car les actrices des grandes sociétés produisant des films pornographiques sont déjà « consentantes », de la même manière que l'ouvrier est consentant d'aller tâter les boulons de son usine.

Ou alors est-ce la porte ouverte à ceux et celles qui sont les plus désespérés et proposant ainsi eux-mêmes à quelle sauce ils doivent être humilié?

En tout cas, vu qu'il n'y a pas de petit profit, le site non payant d'Ovidie est naturellement devenue payant, elle-même y affirmant tranquillement qu'elle « comprend pourquoi... » Et nous aussi : le message c'est bien, les Euros, c'est mieux.

De la même manière, la production étant quelque chose de sérieux, Ovidie a enlevé les références littéraires que sont pour elles les écrivains nationaux-révolutionnaires Jünger et Niekisch, ainsi que l'interview de Goad, intellectuel nord-américain violemment opposé au féminisme, où elle expliquait qu'elle était « très bon public » pour les blagues racistes et antisémites.

Comme quoi, le capitalisme pornographe a une « certaine » conception de la propreté, la même que le capitalisme hypocrite plein de rancœur contre ceux qui achètent du porno, mais plein d'amour pour ceux qui vendent.

.. Vous — cinématographistes (Vertov)

.. Vous — cinématographistes :
metteurs en scène sans travail et acteurs sans travail,
ciné-opérateurs désemparés
auteurs de scénarios dispersés par le monde

vous — public patient des ciné-théâtres, supportant avec l'endurance d'un mulet le fardeau des prétendues émotions

vous — propriétaires impatients des cinémas non consumés, qui avalez, avec avidité les restes de la table allemande, et plus rarement de l'américaine —

vous attendez,

épuises par les souvenirs vous soupirez rêveusement VERS LA LUNE d'une nouvelle mise en scène en six actes...
(les personnes nerveuses sont priées de fermer les yeux)
vous attendez ce qui ne sera pas
et ce qu'il ne faut pas attendre.
Je vous préviens amicalement :

ME VOUS CACHEZ PAS LA TÈTE COMME
des autruches, levez les veux
REGARDEZ AUTOUR DE VOUS
VOILA !
Dziga Vertov

Résolution du 10 avril 1923 du conseil des trois (Béliaev, Kaufman, Svilova)

La situation sur le front du cinéma est peu agréable. Les premières mises en scène russes ressemblent comme il se doit aux anciennes fabrications « artistiques », de la même façon que les Nepmans ressemblent aux anciens bourgeois.

Le répertoire des réalisations pour l'été, chez nous et en Urkaine, ne nous inspire aucune confiance.

1. Observant les films qui nous arrivent de l'Occident et d'Amérique, compte tenu des renseignements que nous avons sur ces travaux et sur les recherches qui se déroulent à l'étranger et chez nous, je suis arrivé à ces conclusions :
L'arrêt de mort rendu en 1919 par les Kinoks à rencontre de tous les films sans exception est toujours valable aujourd'hui.

L'observation la plus sérieuse ne découvre pas un seul film, pas une seule recherche tendant vraiment vers l'affranchissement de la caméra qui se trouve dans un triste esclavage, dans la soumission à un œil humain imparfait et peu perçant.

Nous ne sommes pas contre le travail de sape mené par la cinématographie sous la littérature, sous le théâtre, nous sommes complètement favorables à l'utilisation du cinéma dans toutes les branches de la science, mais nous considérons ces fonctions comme accessoires et comme s'éloignant de l'essentiel.

Fondamental et essentiel : LA CINÉ-PERCEPTION
DU MONDE

Le point de départ est : l'utilisation de la caméra comme un ciné-œil plus parfait que l'œil humain, pour explorer le chaos des phénomènes visuels qui emplissent l'espace.

Le ciné-oeil vit et se développe dans le temps et dans l'espace, il perçoit et il fixe les impressions non pas à la manière humaine, mais d'une tout autre façon. La position de notre corps au moment de l'observation, le nombre de moments perçus par nous d'un phénomène visuel en une seconde ne sont pas du tout obligatoires à la caméra, qui perçoit d'autant et d'autant mieux qu'elle est plus parfaite.

Nous ne pouvons pas perfectionner nos yeux, mais nous pouvons perfectionner toujours davantage la caméra.

Jusqu'à présent, le ciné-opérateur a été critiqué plus d'une fois pour un cheval au galop qui se déplaçait sur l'écran avec lenteur anormale (tournage rapide de la manivelle de la caméra) ou, au contraire, pour un tracteur qui labourait trop vite un champ (tournage trop lent de la manivelle de la caméra), etc.

Certes, ces choses étaient dues au hasard, mais nous préparons un système de hasards bien réfléchis, un système d'anormalités apparentes qui explorent et organisent les phénomènes.

Jusqu'à présent nous avons violenté la caméra et l'avons obligée à copier le travail de notre œil.
Et mieux c'était imité, plus hautement était considérée la valeur d'un tournage.

Aujourd'hui nous libérons la caméra, et nous allons la faire travailler dans une direction opposée, aussi loin que possible de l'imitation.

Toutes les faiblesses de l'œil humain sont évidentes.

Nous affirmons le cinéma-œil, qui cherche à tâtons dans le chaos des mouvements une résultante permettant sa marche en avant, nous affirmons le ciné-œil avec sa propre mesure du temps et de l'espace, avec sa force et ses possibilités sans cesse accrues.

Eisenstein, Sur la question d'une approche matérialiste de la forme 1925

La Grève est l'Octobre du cinéma.

Un octobre qui a même eu son février : qu'est-ce qu'en effet que l'œuvre de Vertov, sinon le «renversement de l'autocratie» du cinéma d'art, et... rien de plus?

Ce discours s'applique uniquement à mon unique prédécesseur, la Kinopravda.

Par contre, le Kinoglaz, sorti quand le tournage et une partie du montage de La Grève étaient déjà terminés, n'a pas pu exercer d'influence - et d'ailleurs n'aurait pu en aucun cas exercer d'influence en ceci que le Kinoglaz est une reductio ad absurdum de méthodes techniques valables pour les actualités - en dépit des prétentions de Vertov, pour qui ses méthodes auraient été suffisantes à créer un cinéma nouveau.

En pratique, il s'agit seulement d'un acte de négation d'un aspect partiel de la cinématographie, filmé avec une «caméra emballée».

Sans nier l'existence d'un rapport génétique partiel avec la Kinopravda (les mitrailleuses ont tiré aussi bien en février qu'en octobre, mais il faut voir contre qui!) - d'ailleurs celle-ci, comme La Grève, dérive des actualités de la production - je n'en estime que plus nécessaire de souligner une différence radicale de principe, à savoir la diversité des méthodes entre les deux œuvres.

La Grève ne «développe» les «méthodes de la Kinopravda» (Kherov). Et si on ne peu! trouver, dans la forme extérieure, une certaine ressemblance, dans sa partie la plus essentielle par contre - dans la méthode formelle de construction - La Grève s'avère être l'exact opposé du Kinoglaz.

null

Dire avant tout que La Grève ne prétend pas sortir de l'art, et que là est sa force.

Telle que nous la concevons, l'œuvre d'art (du moins dans les limites des deux genres dans lesquels je travaille, le théâtre et le cinéma) est avant tout un tracteur, qui laboure à fond le psychisme du spectateur, dans une orientation de classe donnée.

Les productions des Kinoks ne possèdent pas une semblable propriété ni une semblable orientation, et je pense que cela est la conséquence de cette belle trouvaille - pas trop en harmonie avec l'époque où nous vivons - de leurs auteurs : nier l'art au lieu d'en comprendre, sinon l'essence matérialiste, du moins ce qui en est la validité, toujours matérialiste, sur le plan utilitaire.

Une telle légèreté met les Kinoks dans une position assez ridicule en ceci que, si on analyse leur travail du point de vue de la forme, on est contraint de reconnaître que leurs œuvres appartiennent sans aucun doute à l'art, mais seulement à l'une de ses expressions idéologiquement les moins valides : l'impressionnisme primitif.

A travers le montage, opéré sans calculer les effets, de fragments de vie authentique (de tonalités authentiques, diraient les impressio-nisies). Vertov a tissé la trame d'un tableau pointilliste. (...) Vertov prend du monde qui l'entoure ce qui l'impressionne, lui, et non ce par quoi, en impressionnant le spectateur, il labourera à fond son psychisme.

null

En quoi consiste pratiquement la différence entre nos approches, on peut le voir plus encore en évidence là où une partie, pas très grande, du matériel de La Grève, coïncide avec celui du Glaz, ce que Vertov considère pratiquement comme un plagiat (comme si dans La Grève, le matériel était trop rare et qu'on courre le prendre dans le Kinoglaz!) et particulièrement dans la scène du massacre, qui dans le Kinoglaz est sténographiée, tandis que dans La Grève celle est sanguinairement impressionnante.

(C'est justement cette extrême virulence des impressions suscitées par La Grève, «sans gants blancs», qui a valu au film cinquante pour cent de ses ennemis).

En bon impressionniste, le Kinoglaz, son gentil petit bloc-notes à la main (!), court derrière les choses telles qu'elles sont, sans se déchaîner dans un élan rebelle, sans le dépasser au nom d'un motif impérieux d'organisation sociale, mais au contraire en se soumettant à la pression «cosmique» de ce rapport (...)

Au contraire, La Grève arrache des fragments du milieu ambiant, selon un calcul conscient et volontaire, préconçu pour conquérir spectateur, après avoir déchaîné sur lui ces fragments en une confrontation appropriée en l'associant de manière appropriée au motif idéal final. (...)

Le Kinoglaz n'est pas seulement le symbole d'une vision, mais aussi d'une contemplation. Mais nous ne devons pas contempler mais agir.

Il ne nous faut pas un «ciné-œil», mais un «ciné-poing».
Le cinéma soviétique doit fendre les crânes. (...)

Fendre les crânes avec un ciné-poing, y pénétrer jusqu'à la victoire finale, et maintenant, devant la menace de contamination de la révolution par l'esprit «quotidien» et petit-bourgeois, fendre plus que jamais!

Vive le ciné-poing!sonsky) et n 'esi pas une «tentative de greffe de certaines méthodes de construction de la Kinopravda dans le cinéma d'art» (Vertov). Et si on ne peu! trouver, dans la forme extérieure, une certaine ressemblance, dans sa partie la plus essentielle par contre - dans la méthode formelle de construction - La Grève s'avère être l'exact opposé du Kinoglaz.

null

Dire avant tout que La Grève ne prétend pas sortir de l'art, et que là est sa force.

Telle que nous la concevons, l'œuvre d'art (du moins dans les limites des deux genres dans lesquels je travaille, le théâtre et le cinéma) est avant tout un tracteur, qui laboure à fond le psychisme du spectateur, dans une orientation de classe donnée.

Les productions des Kinoks ne possèdent pas une semblable propriété ni une semblable orientation, et je pense que cela est la conséquence de cette belle trouvaille - pas trop en harmonie avec l'époque où nous vivons - de leurs auteurs : nier l'art au lieu d'en comprendre, sinon l'essence matérialiste, du moins ce qui en est la validité, toujours matérialiste, sur le plan utilitaire.

Une telle légèreté met les Kinoks dans une position assez ridicule en ceci que, si on analyse leur travail du point de vue de la forme, on est contraint de reconnaître que leurs œuvres appartiennent sans aucun doute à l'art, mais seulement à l'une de ses expressions idéologiquement les moins valides : l'impressionnisme primitif.

A travers le montage, opéré sans calculer les effets, de fragments de vie authentique (de tonalités authentiques, diraient les impressio-nisies). Vertov a tissé la trame d'un tableau pointilliste. (...) Vertov prend du monde qui l'entoure ce qui l'impressionne, lui, et non ce par quoi, en impressionnant le spectateur, il labourera à fond son psychisme.

En quoi consiste pratiquement la différence entre nos approches, on peut le voir plus encore en évidence là où une partie, pas très grande, du matériel de La Grève, coïncide avec celui du Glaz, ce que Vertov considère pratiquement comme un plagiat (comme si dans La Grève, le matériel était trop rare et qu'on courre le prendre dans le Kinoglaz!) et particulièrement dans la scène du massacre, qui dans le Kinoglaz est sténographiée, tandis que dans La Grève celle est sanguinairement impressionnante.

(C'est justement cette extrême virulence des impressions suscitées par La Grève, «sans gants blancs», qui a valu au film cinquante pour cent de ses ennemis).

En bon impressionniste, le Kinoglaz, son gentil petit bloc-notes à la main (!), court derrière les choses telles qu'elles sont, sans se déchaîner dans un élan rebelle, sans le dépasser au nom d'un motif impérieux d'organisation sociale, mais au contraire en se soumettant à la pression «cosmique» de ce rapport (...) $

null

Au contraire, La Grève arrache des fragments du milieu ambiant, selon un calcul conscient et volontaire, préconçu pour conquérir spectateur, après avoir déchaîné sur lui ces fragments en une confrontation appropriée en l'associant de manière appropriée au motif idéal final. (...)

Le Kinoglaz n'est pas seulement le symbole d'une vision, mais aussi d'une contemplation. Mais nous ne devons pas contempler mais agir.

Il ne nous faut pas un «ciné-œil», mais un «ciné-poing».
Le cinéma soviétique doit fendre les crânes. (...)

Fendre les crânes avec un ciné-poing, y pénétrer jusqu'à la victoire finale, et maintenant, devant la menace de contamination de la révolution par l'esprit «quotidien» et petit-bourgeois, fendre plus que jamais!

Vive le ciné-poing!

DONNIE DARKO

Réalisateur: Richard KELLY
Année: Etats-Unis, 2001
Acteurs : Jake Gyllenhaal, Daveigh Chase, Drew Barrymore, Katharine Ross, Patrick Swayze, Noah Wyle

« Toute la métaphysique n'est qu'une partie de la littérature fantastique »
Jorge Luis Borges

Donnie Darko est le premier long métrage écrit et réalisé par Richard Kelly. Le film s’inscrit dans un univers fantastique mais, à la différence d’un film comme Mulholland Drive de David Lynch, le film montre au spectateur différents points de vues, réels, irréels, supposés réels ou non.1 Il montre « le décor et l’envers du décors » du monde du protagoniste : celui d’un adolescent nommé Donald (Donnie) Darko.

L’action du film prend place dans une petite ville américaine au mois d’octobre 1988, et plus précisément avant la fête d'Halloween, et plus spécialement encore durant la campagne pour l’élection présidentielle. La dimension politique du film est nettement posée dès la première scène réunissant la famille de Donnie qui discute avec énergie des positions de Dukakis.

A la manière d’une nouvelle extraordinaire d’Edgard Allan Poe, l’histoire finit comme elle débute. Un réacteur d’avion s’abat sur la maison de Donnie Darko.
Au début du film, il en réchappera, car victime de crise de somnambulisme, il ne se trouvait pas dans sa chambre au moment de l’accident. A la fin du film, il mourra car il se trouvait dans sa chambre.

null

A la façon de l’expérience du chat de Schrödinger2, Donnie Darko est du point de vue global du film en état de superposition de vie et de mort. Cette référence à la physique quantique ouvrira, comme nous le démontrerons, une discussion erronée sur la possibilité de voyager dans le temps.

Il reste que ce paradoxe alimente le reste du film, car il va s’agir, d’une manière ou d’une autre de comprendre comment ayant échappé à son funeste sort, il est possible que finalement Donnie Darko n’y échappe pas.

C'est dans la parenthèse des deux évènements qui n’en sont finalement qu’un, qu'est assemblé le film.

Donnie Darko vit dans une famille américaine moyenne. Les parents sont sans relief, ce sont des « beaufs. »

Donnie Darko a deux petites sœurs. La première, la plus petite, prépare un numéro de danse pour le gala de fin d'année de l’école. La seconde, la sœur aînée, se distingue dans le film par le fait qu’elle se prépare à voter pour le candidat démocrate Dukakis, ce qui ne réjouit pas son père qui la voit plus tard en « mère au foyer » et qui pense que les républicains feront de meilleures choses dans ce sens.

Donnie est lui un adolescent schizophrène souffrant de crises de somnambulisme et soumis à un traitement médicamenteux. Il est suivi par une psychanalyste (Le Docteur Thurman). Il possède un ami imaginaire accoutré d'un costume de lapin bleu, Franck.

Ce dernier lui annonce que la fin du monde aura lieu dans 28 jours, 46 minutes et 30 secondes, soit le jour de la fête d'Halloween. Il lui donne des directives précises et des missions à accomplir avant cet évènement.

La première mission consiste pour Donnie Darko à saccager les conduites d’eau de son lycée. Ce qu’il fera, son forfait entraînant la fermeture provisoire du lycée mais aussi la rencontre d’une nouvelle élève, Gretchen Ross interprétée par Jena Malone, qui deviendra sa petite amie.

Sa seconde mission sera de mettre le feu à la maison d’une espèce de gourou, Cunningham, interprété par Patrick Swayze qui s'est donné pour mission de sauver les élèves de l'école de la « dépravation et de la violence » et dont il apparaîtra, grâce à l’action incendiaire de Donnie Darko, qu’il est pédophile.

L’action incendiaire a lieu le soir même de la représentation du Gala auquel sa petite sœur participe. Il s’agit d’une chorégraphie, interprétée par le groupe « Sparkle motion » qui sera sélectionné pour un concours national obligeant la mère de Donnie Darko à les accompagner (en avion).

L’ordre lui a été donné par son ami lapin dans un cinéma, et à cette occasion le lapin enlèvera son masque et l’on découvrira un jeune homme, gravement blessé à l’œil. A cette occasion, la professeur de lettres interprétée par Drew Barrymore sera remerciée pour avoir fait étudier à ses élèves le texte de Graham Green, « the destructors » car il est question dans ce texte de l’incendie d’une maison.

Durant cette partie du Film, Donnie Darko, découvre, grâce au docteur Monnitoff joué par Noah Wyle, que le voyage dans le temps est possible, il lui confie la lecture d’un livre d’un livre rédigé par Roberta Sparrow, qu’il connaît sous le surnom de « Grand-mère-la-mort », jouée par Patience Cleveland.

Il s’agit d’une ancienne professeur du Lycée qui a quitté sa fonction et vit recluse chez elle, à attendre un courrier.
Donnie Darko va ainsi prendre conscience, non seulement de la possibilité de voyager dans le temps mais surtout de la prédestination des hommes.

null

Ce qui justifierait alors les commandements de son ami lapin, le guidant dans son rebours dans le temps pour changer l’issue de l’accident de sa petite amie.

Car, en effet, le soir même d’Halloween, alors que les parents de Donnie Darko sont absents, Donnie et sa sœur ainée Elizabeth, organise une fête. Sur ordre du Lapin Franck, Donnie, sa petite amie Gretchen ainsi que deux de ses amis, partent à vélo jusque chez « grand-mère-la-mort. »

Ils sont agressés par deux morveux du Lycée (Seth interprété par Alex Greenwald et Sean interprété par Seth Rogen) qui se trouvent sur les lieux. Gretchen, ayant perdu conscience, gît à terre. Une voiture surgit dans le noir et, en évitant « grand-mère-la-mort », qui comme à son habitude erre au milieu de la route, vient écraser et tuer Gretchen.

Donnie, abat le conducteur de la voiture, un certain Franck, d’une balle dans l’oeil, il était déguisé en lapin, et l’on s’aperçoit qu’il s’agit du jeune homme qui se cachait sous l’habit de l’ami imaginaire de Donnie.

Donnie Darko, revient le 2 octobre, va tout faire pour être dans sa chambre cette fois-ci, au moment où le réacteur de l’avion s’abat sur la maison. Il va ainsi périr. Le film se finit par une scène où l’on voit la maison en partie détruite, où l’on voit aussi Gretchen passer en face de l’habitation, demander des explications, et l’on comprend qu’elle ne connaît pas la famille Darko.

Deux interprétations sont généralement données de ce film, soit Donnie Darko aurait voyagé dans le temps en se sacrifiant pour épargner la vie de sa petite amie Gretchen, soit il aurait simplement rêvé son existence ; le film ne révélant ainsi que la vision pathologique du monde de Donnie Darko.

Ces deux explications, prises alternativement, ne sont pas satisfaisantes. L’idée qu’il faille une interprétation logique unilatérale pour comprendre le film est assez révélateur de l’idéologie dominante qui n’admet que les explications purement spirituelles dès lors qu’elles dévient du schéma rationaliste.

null

L’idée même qu’une chose puisse présenter en même temps deux aspects est tout simplement inadmissible pour l’idéologie dominante. L’idée qu’il puisse exister des contradictions doit être cassée, étouffée, détruite.

D’ailleurs, on s’en aperçoit très bien au regard des critiques qui ont été formulées à l’occasion de la sortie du Film. Il s’agira pour les critiques de rendre parfaitement étanche la frontière entre ce qui est supposé relever du réel et ce qui est supposé relever de la fiction, façon de rejeter que l’absurde est toujours l’expression de l’envers d’un décor réel, façon d’éluder que la contradiction est dans le monde lui-même et que le monde existe en dehors de notre perception du monde.

Ainsi pour Thierry Cheze dans Studio magazine : « Entre fantasmes et réalité, chaque spectateur se construit son propre film dans un univers qui tient autant du suspense psychologique que du fantastique »

Pour Arnaud Malherbe dans l’Express : « Ce caractère hybride, cet alliage réussi de projections mentales, de fantasmes et d'occurrences cartésiennes rarement vues au cinéma font de Donnie Darko un grand régal pour les yeux et les méninges »
D’autres critiques ont attaqué très brutalement le film.

Pour Aurélien Ferenczi, de Télérama, « un film hollywoodien qui, pendant près d'une heure, a réussi à intriguer le spectateur, contraint sans cesse de se demander où le metteur en scène veut l'emmener, on peut sans hésiter appeler ça un demi-succès. »
Pour Olivier Père des Inrockuptibles, « Donnie Darko est un cocktail new-age qui cherche l'originalité dans la compilation, un film bancal, inabouti, mais plutôt intrigant ».

Or, et le résumé du film le montre, le scénario est parfaitement cohérent, bien plus que celui de Mulholland drive, où David Lynch n’envisage qu’un univers onirique parfaitement impénétrable, auquel il manque toutes les clés pour comprendre l’histoire.

Pourtant, le magazine Les Inrockuptibles et Télérama, à la sortie de Mulholland Drive, saluaient respectivement le film de la manière suivante : « On a pas fini d’épuiser les multiples lectures et jouissance de ce pur objet de fascination. » et « David Lynch orchestre un vertigineux jeu de piste dans les collines de Hollywood. Magnifiquement déroutant. »

D’où cette question : qu’est-ce qui gêne fondamentalement les tenants de l’idéologie dominante dans le Film Donnie Darko ?

En quoi consistent ces critiques ?

null

Nous pouvons partir des différents sujets abordés par le film, tels que l’auteur les a traités, pour tenter ensuite d’en faire une synthèse plus générale, voire proposer une lecture critique de ces thématiques.

Nous pratiquerons la première approche thématique sans nous soucier de répondre à la question de savoir si Donnie Darko rêvait ou pas, si l'histoire s’est passée dans sa tête ou pas. Ce n’est qu’ensuite que nous reprendrons cette question, pour montrer qu’elle doit être abordée avec d’autres arguments que ceux de l’idéologie dominante.

Le thème de la schizophrénie est central, et donc celui de la folie. On sait avec certitude que Donnie Darko est suivi par une psychanalyste, Lilian Thurman, jouée par Katharine Ross et l’on peut mettre un mot sur le mal dont souffre Donnie Darko dès la moitié du film. Richard Kelly prend ouvertement le contre-pied de la ligne d’opposition qui est généralement admise dans le traitement de cette maladie entre psychanalyse et psychiatrie.

En effet, Richard Kelly dépasse la contradiction entre le fait de savoir si la maladie peut être guérie ou soulagée par la parole ou si les médicaments peuvent servir ce but. Il renvoie dos à dos thérapie médicamenteuse et analyse.

Cela apparaît clairement lorsque par exemple, il ridiculise la psychanalyste, qui, pratiquant l’hypnose sur Donnie Darko dans le but de lui faire parler de certains problèmes, voit Donnie commencer à déboutonner son pantalon pour se toucher.

Elle n’a que le temps de mettre fin à la séance d’hypnose avant que celle-ci ne dégénère.

Ainsi, la psychanalyse est-elle prise dans ses limites et ses contradictions. Le film nous montre d’abord que la psychanalyste n’a pas pour rôle de laisser dire à Donnie ce qu’il a envie de dire, mais de lui faire dire ce qu’elle a envie d’entendre. Lorsque Donnie doit répondre à la question de savoir à quoi il pense pendant les cours, il répond qu’il a envie de baiser.

Lilian Thurman lui repose la question, essayant de l’emmener sur d’autres sujets, mais Donnie Darko maintient ses propos. On comprend que la psychanalyse n’a pas pour but de libérer la parole, mais de la canaliser dans le sens qui convient au psychanalyste.

On comprend aussi, que non seulement tout ne peut pas être dit, mais tout ne peux pas être fait, car, lorsque Donnie commence à déboutonner son pantalon, le docteur Thurman coupe court à la séance. Sa gêne ensuite visible, alors que Donnie Darko ne semble pas gêné, montre comment les psychanalystes sont du côté de la moral et de l’ordre établi.

Le traitement par les médicaments est lui aussi dénoncé. En effet, la première apparition du Lapin est consécutif à l’ingestion des pilules censées calmer les crises de Donnie Darko, et cela se reproduit d'ailleurs à plusieurs fois dans le film.

Ce rejet, dos à dos, de la psychanalyse et de la pharmacopée renvoie au mouvement de l’anti-psychiatrie, et marque un positionnement du réalisateur sur l’origine de la schizophrénie. C’est au début des années 1960, à Londres qu’est né le mouvement de l’anti-psychiatrie. Ses principaux protagonistes sont les docteurs Cooper et Laing.

Le principe de base de l’anti-psychiatrie est de dire que l'individu se réfugie dans la folie pour faire face à une situation sociale intolérable. La psychose est alors une sorte de voyage intérieur, une période de dépression menant à une reconstruction qui permet de trouver un meilleur contact avec soi. L’approche de la maladie mentale sous l’angle social, en dehors de l’approche génétique mais aussi de l’approche subjectiviste, est le point d’orgue de l’anti-psychiatrie. C’est ainsi que le Dr Ronald Laing renonce, selon ses propres mots à « soigner » au sens admis du mot, et qu’il veut défendre le "fou" contre sa société.

La question de l’influence sociale sur le mal-être de Donnie Darko est omniprésente, elle l’est dès le début du film, dans la construction même de l’introduction du film.

On nous présente Donnie Darko par l’intermédiaire de sa famille. On nous présente le père qui jardine, la grande soeur radieuse, la petite soeur qui joue, la mère qui lit "it" de stephen king.
Et on comprend ensuite que le problème de Donnie est intimement lié à sa famille autant qu’à la société.

En effet, lors de la première scène collective la famille prend son repas. Elisabeth et son père parlent politique. Elle préfère voter Dukakis que Bush, refuse d'être dépendante d'un mari, veut étudier à Harvard. Donnie provoque sa soeur en essayant de la rabaisser. Samantha demande quand elle pourra trouver un mari. Donnie répond "Pas avant la 4ème".

null

Cette réflexion vexe Elisabeth (elle a dû commencer sa sexualité à cet age là). Il en rajoute encore. Elisabeth lui demande d'expliquer pourquoi il a arrêté de prendre ses cachets. Ensuite Donnie Darko va dans sa chambre, il lit.

Il envoie balader sa mère, Celle-ci le prend toujours pour un gamin, il la traite de « saloperie. » L’ensemble de ces deux scènes montre à quel point sont imbriquées les questions de politique, de famille et celle relative à la maladie de Donnie Darko.

Plus tard dans le film, Donnie demandera à sa mère ce que cela fait d’avoir un fils barjot et elle lui répondra que cela est génial. Ce point de vue est très exactement celui de l’antipsychiatrie, celui du Dr Ronald Laing, par exemple qui affirme que « les schizophrènes ont plus de choses à apprendre aux psychiatres sur leur monde intérieur, que les psychiatres aux malades. »

Car, pour l’anti-psychiatrie, la psychose est une douloureuse richesse.

La maladie est sociale, et la question politique plus générale des liens entre subversion et mise au rang de malade est au centre du film aussi. Elle est abordée directement avec le thème de la violence, de l’usage de la violence dans la façon de se positionner face à la société.

Franck, l’ami lapin de Donnie Darko, intime à ce dernier d’inonder son lycée et de détruire aussi l’habitation de Cunningham, le gourou bien pensant.
Ces actes vont se révéler productifs, puisque, le vandalisme du lycée permet à Donnie Darko de rencontrer Gretchen qui deviendra sa petite amie, et l’incendie de la maison du gourou laissera l’immeuble en ruine révélant l’existence d’un cachot pédophile.

Ainsi, une chose se transforme en son contraire. Ce qui est négatif devient positif. Il ne s’agit pas seulement de dire que « des fleurs peuvent s’extraire du mal », mais surtout d’insister sur le fait qu’un fait présente toujours plusieurs aspects, et de souligner que de ce point de vue le caractère unilatéral des jugements de la population est une mauvaise chose.

Richard Kelly montre comment les parents d’élèves réagissent face aux actes de destruction. Ils réagissent de manière univoque lorsqu’ils sont réunis en assemblée de parents d’élèves ; il s’agit d’ailleurs d’un public de classes moyennes, la petite bourgeoisie de province qui s’offusque des actes de vandalisme de manière primaire.

Le porte parole de cette classe moyenne est incarné par la professeur de sport, une hystérique, qui durant la réunion des parents d’élèves va demander à ce que soit exclu la professeur de français, miss Karen Pomeroy, pour avoir étudié un texte subversif « the destructors » de Graham Green, alors qu’elle ne connaît même pas l’auteur ! Pour celle-là, l’étude de ce texte subversif (qu’elle na même pas lu) est à l’origine directe de l’incendie.

On retrouve là, la mauvaise foi organique des classes moyennes, partisanes de la censure, du camouflage intellectuel, de l’omission culturelle. Celle-là même qui a conduit en France, il y a deux ans des parents d’élèves à porter plainte contre un professeur d’un lycée d’Arras pour avoir étudié Lolita de Nabokov. Le refus structurel de la culture, de la part de la petite bourgeoisie, est très bien mis en scène par Richard Kelly.

null

L’épisode, précisément, où miss Karen Pomeroy, interroge ses élèves sur l’interprétation de la nouvelle « The destructors » est assez significatif. Le professeur lit une partie du texte et demande à la classe « qu’est-ce que Graham Green essaie de faire comprendre, pourquoi les enfants détruisent-ils cette maison ? »

Elle interroge Donnie Darko sur ce point, il répond « la destruction est une forme de création ..ils (les enfants) veulent juste voir ce qui se passe quand on met le monde en pièce, ils veulent changer les choses. »

On ne peut s’empêcher à la formule de Mao Zedong lorsqu’il dit « on a raison de se révolter. » Car, et c’est un point important, la lucidité de Donnie Darko sur le rôle constructif de l’acte de révolte renvoie à une conception de la méthode du changement politique.

La question du temps, et de la possibilité de voyager dans le temps est abordée aussi avec pertinence.

Influencé par Franck, le lapin, Donnie Darko questionne son professeur de sciences, le docteur Monnitoff qui lui indique que le voyage dans le temps est possible, il le renvoie à la lecture de l’œuvre de Roberta Sparrow (« Grand-mère-la-mort »). De quoi s’agit-il ?

Et bien, le voyage dans le temps est possible en passant dans un « trou de verre ».

Cette théorie du trou de verre reprend un thème majeur de la science fiction. Richard Kelly revient sur quelques thèmes forts liés à la théorie de la relativité et à la mécanique quantique.
La Théorie de la Relativité restreinte, exprimée en 1905 par Albert Enstein, démontre que le temps ralentit dans un repère en mouvement : plus un objet se déplace vite, plus le temps s'écoule lentement pour lui…

Ce principe est illustré par le fameux paradoxe des Jumeaux de Langevin : Julien et Aurélien sont deux jumeaux de 20 ans habitant sur la Terre... Julien décide d'embarquer dans une fusée spatiale alors qu'Aurélien reste sur Terre...

Si Julien voyage à une vitesse ultra-rapide à bord de sa fusée pendant deux ans à la vitesse de la lumière, quand il rentre sur Terre, deux ans se sont écoulés pour lui, ce qui lui fait 22 ans... Mais pour son frère, plusieurs dizaines d'années se sont écoulées... Aurélien est un vieillard.

La Théorie de la Relativité Générale d’Einstein nous apprend que la trame de l’Univers compte trois dimensions : les trois dimensions spatiales, et le Temps qui sont indissociables.

Une particule de lumière, qui prend toujours le chemin le plus court entre deux points, voit sa trajectoire déviée par un objet de masse et de densité importante. Cela signifie que l’écoulement du temps n’est pas partout le même : il devient donc imaginable de jouer sur la relativité de l’écoulement du temps pour se « transporter » dans le Temps. La masse d’énergie à mettre en œuvre est colossale.

Mais il existe des déformations naturelles de l’espace-temps qui pourraient, en théorie, nous permettre de voyager dans le temps : les trous noirs.

A partir de cette théorie, d’autres sont nées, dont celles du physicien britannique Stephen Hawking: le trou noir aboutirait à ce que l’on appelle une fontaine blanche, sortie par laquelle la matière et la lumière absorbée s'échappent. Si cette issue est très éloignée du trou noir, passer par cet étrange tunnel – le fameux trou de ver de la littérature SF4 - permettrait de voyager plus rapidement que la lumière, donc de voyager dans le temps.

Si l'entrée d'un trou noir est immobile par rapport à nous et si la sortie se déplace a une vitesse proche de celle de la lumière le phénomène de dilatation du temps prévu par Einstein aura une conséquence étonnante: le temps s'écoulera différemment à l'entrée et à la sortie du tunnel !
Ainsi une maîtrise de la construction des trou de ver permettrait de choisir le moment de sortie dans le passé.

Richard Kelly se joue des extrapolations qui ont été faites de la théorie de la relativité d’Albert Einstein.

Notamment lorsque Donnie Darko discute avec le professeur de science, il l’interpelle à propos du trou de verre en lui demandant si un vaisseau similaire à celui de « Retour vers le futur » suffirait pour remonter dans le temps. Cette allusion, ironique, démontre que Richard Kelly ironise sur la possibilité réelle de remonter le temps. Il se moque en fait des faiseurs de théories, et démontre qu’un chose peut se transformer en son contraire.

Enfin la question du couple, et de l’engagement est elle aussi centrale. Si l’on admet, un moment que la question de savoir si Donnie Darko fantasme ou non, se pose alors de manière logique un conflit entre deux logiques.

En se sacrifiant, en décidant de succomber sous l’impact du réacteur de l’avion, Donnie Darko efface son œuvre, celle qui a consisté notamment à mettre le feu à l’habitation de Cunningham, le gourou manichéen, et donc, la découverte du cachot pédophile est rendue impossible. La question ne se pose pas sous l’angle du libre arbitre.

Donnie Darko n’est pas mis dans la situation d’un conflit entre son amour pour Gretchen et un acte plus politique, il est plutôt mis en face de sa destinée qui consiste à sauver Gretchen un peu malgré lui, ce qui aura pour conséquence la non-découverte du cachot pédophile de Cunningham.
Inévitablement, cela renvoie à la question de la hauteur de l’engagement. Comment composer entre les sentiments et la vérité ?

Il n’y a pas de réponse toute faite chez Richard Kelly, la seule « vérité » assenée par le réalisateur est que Donnie Darko n’échappera pas à son destin, et son destin, en l’occurrence lui fera sauver la vie de Gretchen. Le thème de la prédestination est ainsi très fortement ré-ancré une fois de plus.

Nous avons jusqu’ici, délibérément, occulté la question de savoir si Donnie Darko « avait rêvé sa vie » ou si il avait vraiment pu se transporter dans le temps. Il est question maintenant de prendre position. Le refus d’analyser cette question nous a permis de mettre certaines questions accessoires en avant ; il s’agit maintenant d’utiliser les matériaux que cette démarche a permis de découvrir pour interpréter globalement le film.

Richard Kelly œuvre à partir d’une certaine réalité.

null

Tout est réel dans son film, depuis la maladie de Donnie Darko, jusqu’à l’analyse de la société américaine des classes moyennes. Sa critique anti-psychiatrique des méthodes des psychiatres et des psychanalystes, sa fresque des classes moyennes (ou petites bourgeoises), son ironie vis à vis des faiseurs de théories bancales (celles liées à la possibilité de voyager dans le temps), son regard acerbe sur les contradictions, bref, tout, chez Richard Kelly nous invite à enraciner notre regard du monde dans le monde lui même.

Donnie Darko est donc un film réaliste, et si l’on veut bien admettre comme Friedrich Engels que « toute religion n'est que le reflet fantastique, dans le cerveau des hommes, des puissances extérieures qui dominent leur existence quotidienne », alors tout s’éclaire.

Car, ce qui relie Donnie Darko au monde, c’est son refus d’un monde mensonger, depuis le refus de sa famille, jusqu’au refus des catégories imposées par la classe dominante, le refus d’un système, le refus des interprétations oiseuses, le refus de prendre ses médicaments, le refus de la psychanalyse, le refus des opinions toutes faites de sa sœur sur Dukakis autant que le refus des positions débiles de ses parents sur cette question.

Donnie Darko est pris dans sa contradiction face au monde réel, il est possible qu’il le fantasme, il est possible que l’essentiel du film ne soit la projection que de ce qu’il aurait voulu que sa vie soit, un peu comme si son existence avait défilé devant ses yeux avant qu’il ne meurt et ait expliqué ce qu’il aurait pu faire.

Cela renvoie à une tension philosophique sur le rapport du réel au voulu.
Si l'on admet le principe que : « Si l'on veut obtenir des succès dans son travail, c'est-à-dire arriver aux résultats attendus, on doit faire en sorte que ses idées correspondent aux lois du monde extérieur objectif; si tel n'est pas le cas, on échoue dans la pratique. Après avoir subi un échec, on en tire la leçon, on modifie ses idées de façon à les faire correspondre aux lois du monde extérieur et on peut ainsi transformer l'échec en succès; c'est ce qu'expriment les maximes: «La défaite est la mère du succès» et «Chaque insuccès nous rend plus avisés » (Mao Zedong, de la pratique) - alors, Donnie Darko l’histoire d’un adolescent qui, ayant compris cette tension, n’a sans doute pas su à temps en tirer les leçons.

VERTOV : Je suis le ciné-œil

Je suis le ciné-œil. Je suis un bâtisseur. Je t'ai mis, toi, créé par moi, dans la chambre la plus extraordinaire qui n'existait pas avant cet instant, et qui a été aussi créée par moi. Cette chambre a 12 murs, pris par moi dans les différentes parties du monde.

Tout en combinant entre elles les prises de vues des murs et des détails, j'ai réussi à les disposer dans l'ordre que tu aimes, et j'ai réussi à construire avec précision, sur les intervalles, une ciné-phrase qui n'est autre que cette chambre..............

Je suis le ciné-oeil, je crée un homme plus parfait qu'Adam, je crée des milliers d'êtres différents d'après des croquis et des schémas préparatoires.

Je suis le ciné-œil.

A l'un je prends les mains les plus fortes et les plus agiles, à un autre les jambes les plus sveltes et les plus rapides, à un troisième la tête la plus belle et la plus expressive, et avec le montage je crée un homme nouveau, parfait...

Du théâtre populaire au cinéma populaire – l'exemple du Bengale (Satyajit Ray, Ritwik Ghatak, Mirnal Sen)

Le cinéma indien est surtout connu en Europe pour les productions bollywoodiennes (Devdas, Kabhi Kushi Kabhie Gham / Une famille indienne) ou certains films d'auteurs (Mother India, Salaam Bombay ou encore Lagaan).

Il va de soi que cela est totalement réducteur de la production indienne, notamment pour la simple raison que la plupart du temps seules les productions en hindi arrivent jusqu'en Europe, quand elles ne sont pas directement en anglais.

Le hindi est le langage dominant du nord de l'Inde, mais chaque autre langue importante (Telugu, Kanada, Tamoul, Bengali, Malayalam, Gujarati, Marathi, Punjabi, etc.) connaît une vaste production cinématographique. Cela a été particulièrement le cas au Bengale, zone géographique de très grande tradition culturelle.

La poésie possède une longue histoire dans une langue d'une grande richesse, directement issue du sanskrit et qui a été, entre autres causes, à l’origine de la rupture du Bangladesh (le Bengale oriental) avec le Pakistan, qui voulait supprimer la langue bengali.

On connaît également le nom de Rabindranath Tagore, prix nobel de littérature 1913, mais également celui de Satyajit Ray, considéré comme l'un de plus grands cinéastes, au même titre que Bergman ou Kurosawa.

Ritwik Ghatak, de la même génération que Ray, est lui totalement inconnu, mais bénéficie de la même aura de géant chez les cinéphiles avertis.

null

D'où viennent ces deux cinéastes bengalis ?

Tout simplement du grand mouvement de théâtre populaire lancé en Inde dans les années 1940, l'Indian People Theatre Association (IPTA).

L'IPTA est un rassemblement de troupe de théâtres au service du peuple, jouant des pièces sur le mode brechtien, montrant la réalité et appelant à la changer. L’une des conséquences majeures de l’IPTA dans le mouvement ouvrier d'Inde, sera le cinéma bengali des trois auteurs classiques de la ville de Calcutta : Satyajit Ray, Ritwik Ghatak et Mrinal Sen.

L'un des chefs d'œuvre de Ritwik Ghatak (1925-1976), Mi bémol (Komal Gandhar), retrace directement l'histoire d'une troupe de théâtre engagée, des contradictions qui peuvent exister en son sein, de la nécessité d'être toujours présent pour servir le peuple, comme lors des manifestations.

Dans Un ennemi du peuple (Ganashatru) de Satyajit Ray la troupe de théâtre à la fin du film rejoint également la juste cause « perdue » du docteur combattant avec difficultés la municipalité refusant de fermer un temple hindou proposant de l'eau souillée et propageant une épidémie.

null

Cet engagement aboutit également à une localisation géographique très prononcée des films. Le cinéma bengali est bengali, il correspond aux critères du réalisme socialiste (« national dans sa forme, socialiste dans son contenu »). La langue utilisée est le bengali, les personnages sont typiques, l'action se déroule au Bengale, la musique est populaire, etc.

Par ailleurs, Ritwik Ghatak est le seul auteur à avoir affronté directement dans ses films la question de la partition tragique du Bengale (son Bangladesh natal choisissant de rejoindre le Pakistan et non l'Inde).

Les acteurs pleurent la coupure qui dessert l'existence quotidienne du peuple, comme dans Mi bémol où la troupe de théâtre se retrouve sur le fleuve séparant désormais deux pays et ses membres expriment leurs émotions pour leurs villages natals sur l'autre rive.

Il est même un film traitant de la question des réfugiés et de leur sort (Subarnarekha), chose impensable dans une Inde nationaliste opposée à toute question sociale.
A ce titre, il faut noter le rapprochement très clair des classiques de Calcutta avec les positions du mouvement naxalite. D'habitude on considère uniquement l'œuvre de Mrinal Sen selon ce point de vue.

null

Celui-ci s'en est effet toujours revendiqué du mouvement révolutionnaire. Son film Neel Akasher Neechey (Sous un ciel bleu) – où le protagoniste finit par rejoindre la résistance chinoise anti-japonaise en 1931 - fut interdit pendant deux mois par l'Etat indien à sa sortie en 1958.

Par la suite il sera l'auteur de films comme Padatik (Le guérillero, 1973), traitant ouvertement de la question du militantisme naxalite, ou bien encore Un jour comme les autres (Ek din pratidin), œuvre ouvertement féministe et critiquant radicalement la conception indienne de la famille.

Dans ce film, la femme cherchant à se libérer, ayant même voulu se marier contre l'avis de ses parents avec un étudiant révolutionnaire qui sera finalement exécuté par la police dans une manifestation, n'est quasiment pas visible.

On montre la famille, les voisins, leurs réactions patriarcales au fait que la femme ne soit pas rentré juste après le travail.

Mrinal Sen est ainsi considéré comme le cinéaste le plus « militant », mais une telle vision est réductrice. Cette perception abstraite provient du fait qu'il est simplement le plus « direct » - il est d'ailleurs passé à ses débuts par le cinéma commercial.

Mais Ghatak et Ray sont tout autant incompréhensibles sans une lecture « brechtienne. »

null

Satyajit Ray affirmera ainsi que « J'ai fait des déclarations politiques plus claires que quiconque, même Mrinal Sen. » Car pour Ray et pour Ghatak, critiquer directement n'est pas aussi intéressant que présenter les gens correspondant au nouveau contre l'ancien.

Ou comme le dit Ray : « Il est très facile d'attaquer certaines cibles, comme l'establishment. Vous attaquez des gens qui s'en moquent. L'establishment ne bougera pas d'un pouce malgré ce que vous pouvez dire.

Alors, quel est l'intérêt? Les films ne peuvent pas changer la société. Ils ne l'ont jamais fait (...). Eisenstein a aidé une révolution qui avait déjà lieu.

Au milieu de la révolution, un cinéaste a un rôle positif, il peut faire quelque chose pour la révolution. Mais s'il n'y a pas de révolution, il ne peut rien faire. »

Et lorsqu'on lui demanda comment il voyait son propre rôle social en tant que cinéaste, il répondit : « Vous pouvez voir mon attitude dans le film « L'adversaire » où vous avez deux frères. Le plus jeune est un naxalite.

Il n'y a aucun doute que le plus vieux des frères admire le plus jeune pour sa bravoure et ses convictions. Il n'y a pas d'ambiguïté dans le film à ce sujet.

En tant que cinéaste, néanmoins, j'étais plus intéressé par le frère le plus vieux, en raison de son caractère vacillant. Comme entité psychologique, en tant qu'être humain avec des doutes, c'est un caractère plus intéressant pour moi. Le plus jeune s'identifie déjà avec une cause.

Cela fait qu'il est un élément d'une attitude totale et ça lui enlève son importance. Le mouvement naxalite prédomine. En tant qu'individu, il n'a plus d'importance. Quiconque s'identifie avec un mouvement dépend de directives de personnes responsables, dirigeant, contrôlant le mouvement.

Prendre le contrôle de ces personnes, cela serait intéressant. Alors il serait possible de faire un film sur le mouvement naxalite, un film eisensteinien sur l'activité révolutionnaire.

Mais cela n'est pas possible dans les circonstances actuelles en Inde. »

null

Ainsi, selon Ray, tant que le mouvement n'est pas définissable dans un film de manière complète et absolue, il faut présenter les individus dans le cadre de contradictions existantes en leur sein et dans la société.

Cela sera la misère d'une famille et la quête de l'emploi dans La grande ville (Mahanagar), la contradiction entre la ville et la campagne, l'intellectuel et le paysan dans Apu sansar (Le monde d'Apu), les jeux de l'amour et de la séduction (par opposition aux mariages forcés, encore traditionnels) dans Jours et nuits dans la forêt (Aranyer din ratri).

Cela n'empêche pas que dans tous les films du cinéma bengali les classes sont représentées, dans la définition typique utilisée par Staline et Mao Zedong : les impérialistes, notamment anglais, sont les méchants ainsi que les grands propriétaires terriens et les riches indiens travaillant avec les étrangers impérialistes, alors que les « classes moyennes », la petite-bourgeoisie, sont toujours présentées comme un allié très clair des revendications populaires.

Les habits, les manières, le langage, à chaque fois les différences de classes sociales sont mises en avant, faisant comme coexister des mondes mais pour mieux les diviser.

L'influence de Ghatak est ici très importante.

Il est intéressant aussi de voir que Ghatak est aujourd'hui considéré comme ayant été l'une des influences majeures de ce cinéma bengali et du cinéma indien en général, alors que lui-même est mort de tuberculose et d'alcoolisme, dans le dédain général. Pour Ghatak, « Le film n'a pas une, mais des formes. »

Il tente toujours de se conformer à la culture bengalie de la poésie : « Tout art est en fin de compte de la poésie. La poésie est l'archétype de toute créativité. Le meilleur cinéma devient de la poésie...

Sans l'art, tout ce qui est subjectif de vient de la poésie. Et parfois le cinéma semble devenir un art. » Ce qui fera dire à Satyajit Ray que « En tant que créateur d'images puissantes dans un style épique, Ghatak n'était virtuellement jamais surpassé dans le cinéma indien. »

Ghatak est celui qui a tenté de coller le plus près à la réalité nationale bengalie; il n'a en fait jamais accepté la partition, cherchant à élever le niveau de conscience : pour lui l'unité populaire amènera le dépassement des tragédies.

C'est pourquoi il ne s'est pas intéressé à des histoires lentes et détaillées, comme le fera Ray dans la tradition du roman « Le salon de musique », où tout est décrit de manière minutieuse, très bengali également, mais à l'autre aspect bengali, selon lui conforme à son époque : l'aspect épique.

null

Seul l'aspect épique permet d'être à la hauteur de la situation et de la vision qui va avec : « Je ne crois pas en l'entertainement [divertissement] comme ils disent, ce slogan qui revient. Je crois bien plutôt à penser plus profondément l'univers, le monde en grand, la situation internationale, mon pays et finalement mon propre film. Je fais des films pour eux. J'ai peut-être échoué. C'est au peuple de juger. »

L'influence très profonde du cinéma soviétique sur Ghatak n'empêche pas qu'il a appliqué sa technique et sa poésie à la situation du Bengale, allant pour cela jusqu'à traverser la frontière pour filmer Titas Ekti Nadir Naam au Bangladesh. Cet Eisenstein que l'Inde n'a pas pu avoir, au Bengale on peut dire que c'est Ghatak.

A sa mort, Satyajit Ray dira de ce fait : « Ritwik était un directeur bengali de coeur et d'âme, un artiste bengali bien plus un bengali que moi-même. Pour moi c'est le dernier mot à son sujet, et c'est la caractéristique qui a le plus de valeur et qui est la plus distinctive. »

null

Ghatak était conscient de sa situation et avait dit que « en tant qu'artiste j'ai essayé de rester honnête, et c'est au futur de décider dans quelle mesure j'ai réussi. » Il pensait que son film Komal Gandhar serait compris dans 25-30 ans. Il est donc temps de s'y mettre.

VERTOV : SYSTÈME DES MOUVEMENTS CONSÉCUTIFS

J'impose au spectateur de voir de la façon que je trouve la plus avantageuse tel ou tel phénomène visuel.

L'oeil se soumet à la volonté de la caméra, il est dirigé par elle sur les mouvements consécutifs de l'action qui conduisent, de la manière la plus courte et la plus évidente, la ciné-phrase vers le sommet ou vers le fond de sa solution.

Exemple: prise de vue d'un combat de boxe – non pas du point de vue du spectateur qui assiste à la compétition, mais prise de vue des mouvements (des procédés) consécutifs des deux adversaires.

Exemple: prise de vue d'un groupe de danseurs – non pas du point de vue du spectateur assis dans la un ballet dansé sur une scène.

C'est que le spectateur d'un ballet suit de manière confuse tantôt l'ensemble des danseurs, tantôt des visages isolés pris au hasard, tantôt quelques jambes – une série de sensations disparates pour chacun des spectateurs.

On ne peut pas présenter cela au ciné-spectateur.

Le système des mouvements consécutifs exige une prise de vue des danseurs ou des boxeurs exposant leurs procédés dans l'ordre de leur succession et de leur organisation, forçant l'oeil du spectateur à se déplacer sur cette suite de détails qu'il est nécessaire de voir.

La caméra entraîne les yeux du ciné-spectateur des mains aux pieds, des pieds aux yeux et à tout le reste, dans l'ordre le plus avantageux, et organise les détails en une étude de montage ayant ses règles strictes.

VERTOVsalle et qui a devant lui un ballet dansé sur une scène.

C'est que le spectateur d'un ballet suit de manière confuse tantôt l'ensemble des danseurs, tantôt des visages isolés pris au hasard, tantôt quelques jambes – une série de sensations disparates pour chacun des spectateurs.

On ne peut pas présenter cela au ciné-spectateur.

Le système des mouvements consécutifs exige une prise de vue des danseurs ou des boxeurs exposant leurs procédés dans l'ordre de leur succession et de leur organisation, forçant l'oeil du spectateur à se déplacer sur cette suite de détails qu'il est nécessaire de voir.

La caméra entraîne les yeux du ciné-spectateur des mains aux pieds, des pieds aux yeux et à tout le reste, dans l'ordre le plus avantageux, et organise les détails en une étude de montage ayant ses règles strictes.

SUR DES RAILS BOLCHEVIQUES

Publié dans La Pravda du 14 décembre 193l

Le cinéma est un puissant moyen d'influence sur les masses. Dans le monde capitaliste, tout en étant générateur d'immenses profits pour les magnats de l'industrie, il sert d'instrument d'intoxication des masses par le biais du poison de l'idéologie bourgeoise.

Entre les mains du prolétariat vainqueur, la signification du cinéma est exprimée avec éclat par les paroles notoirement connues de Lénine : « De tous les arts, le cinéma est pour nous le plus important. »

S'appuyant sur cette formule, le parti a porté et continue à porter une attention considérable aux problèmes du cinéma, et a connu dans ce domaine essentiel de la révolution culturelle des succès nombreux.

Qu'il suffise de dire que le réseau des installations dans les villes a été multiplié par près de neuf depuis la révolution (de 1045 à 9000 au premier juillet 1931). Les campagnes russes ignoraient totalement le cinéma sous le tsarisme ; aujourd'hui, 16000 installations de cinéma sont en fonctionnement dans les campagnes soviétiques.

Nos réussites ne sont pas moins grandes dans les domaines de la technique, de la fabrication de moyens de production pour l'industrie du cinéma.

Autrefois, pellicule et appareillage étaient importés dans leur leur totalité de l'étranger, aujourd'hui, on les fabrique en Union Soviétique, dans nos propres entreprises rénovées. On a mis un terme heureux à la dépendance technique du cinéma soviétique à l'égard des pays capitalistes.

Les ennemis de classe du prolétariat et les éléments opportunistes de droite qui n'ont pas encore été chassés de la cinématographie soviétique tentent d'appliquer le slogan "atteindre et dépasser" les réussites du cinéma bourgeois non seulement sur le plan technique, mais également dans le domaine idéologique.

Le parti a démasqué le slogan analogue (« atteindre et dépasser les succès de la littérature bourgeoise ») véhiculé dans le domaine de la littérature par la MAPP, au printemps de cette année. Il est indispensable, dans le domaine du cinéma aussi, de réserver le même sort à ce slogan.

En dépit de considérables réussites, tant quantitatives que qualitatives, le développement du cinéma soviétique reste éloigné des exigences des larges masses ouvrières et kolkhoziennes, des rythmes de construction socialiste.

Au bilan - un retard quantitatif et qualitatif.

null

Les rythmes de déploiement du réseau de salles et d'installations doivent être considérablement accrus. L'année prochaine, il faudra absolument arriver au chiffre de 70 mille installations, au lieu des 30 mille prévu pour la fin 1931.

Dans de nombreuses et importantes entreprises, dans d'importants centres ouvriers, le réseau des ciné-théâtres est faible, insuffisant. Leur édification n'est pas simplement du ressort de Soiouzkino.

Elle doit s'accompagner de l'initiative d'organisations locales des soviets, des syndicats et d'agents économiques, qui auront recours aux moyens locaux.

Elle doit s'appuyer sur les bénéfices dégagés par l'exploitation du cinéma de la part des entreprises de spectacle des ispolkom.

Il est également indispensable de procéder à un considérable renforcement de l'équipement technique de notre cinématographie : agrandissement des usines et fabriques existantes et construction de nouvelles et puissantes unités, en vue de produire des dizaines de millions de mètres de pellicule et des dizaines de milliers de caméras pour le cinéma muet, mais aussi sonore qui ne connaît pas encore chez nous sa pleine mesure.

Les tâches les plus importantes attendent la cinématographie soviétique relativement à la qualité de la production, à la qualité du travail. Pour l'industrie du cinéma, la qualité est la contrainte centrale, principale, fondamentale à quoi est soumis tout le reste, car l'industrie du cinéma fabrique un produit idéologique, un outil d'éducation culturel et politique à l'intention des larges masses ouvrières et kolkhoziennes.

En 1925 déjà, dans un discours qui rendait compte du XlVème congrès du parti, le camarade Molotov avait attiré l'attention sur l'aspect qualitatif du travail au cinéma (et à la radio).

Nous avons connu quelques réussites en la matière. Toutefois, nous avons jusqu'à présent trop souvent l'occasion de regretter qu'il n'y ait pas suffisamment de nouveaux films et que leur qualité ne soit pas à la hauteur de notre attente. Nous n'avons pas encore mis un terme au gaspillage. Nous dilapidons des moyens énormes pour réaliser des dizaines et des centaines de films idéologiquement étrangers à l'édification du socialisme.

null

En l'absence d'un contrôle suffisant et d'une vigilance de classe dans le processus de production de films, des centaines de milliers de roubles sont gaspillés en vain, une matière première déficitaire - la pellicule - est dilapidée. En outre, de nombreux films idéologiquement nuisibles, étrangers à nos conceptions, gagnent nos écrans et nous portent un préjudice idéologique.

L'une des raisons de cette situation, indépendamment d'une certaine croissance en cadres nouveaux, réside dans la faiblesse des cadres littéraires, techniques et artistiques de la cinématographie, quelque peu contaminés qu'ils sont par des éléments étrangers.

Il est indispensable de renforcer la préparation des nouveaux cadres par des ouvriers, des membres du parti et du komsomol, particulièrement dans les républiques nationales. En premier lieu, il s'agit d'élever radicalement le niveau des travailleurs dirigeants qui déterminent la qualité des films (scénaristes, rédacteurs, réalisateurs, etc.).

L'actuel réseau d'Ecoles supérieures et de technicums de cinéma est nettement insuffisant. Il est nécessaire de construire spécialement une Ecole supérieure ainsi qu'une série de technicums, mais également d'organiser des écoles d'apprentissage dans les usines et des enseignements pour préparer le personnel technique.

Outre la formation de nouveaux cadres et une meilleure qualification des anciens, il faut considérablement renforcer le contrôle social du prolétariat sur le travail du cinéma, en resserrant un peu plus les liens qui unissent les organisations de cinéma et les écrivains prolétariens, les correspondants ouvriers et les travailleurs de choc de la presse.

Il faut renforcer l'influence des organisations de masse prolétariennes sur les plans thématiques mis au point par les ins formation revêt une importance majeure.

Ce point a été spécialement souligné par un décret du C.C. du parti relatif à la propagande technique, laquelle se trouve, pour l'instant, dans un état parfaitement embryonnaire. La direction et l'appareil de Soiouzkino n'accordent pas une attention suffisante à cette activité de première importance. Ils en freinent souvent le développement. Dans sa plus récente circulaire, la direction de Soiouzkino propose même de réduire la place du film technique, ce qui est totalement inadmissible.

Le film artistique de masse doit, naturellement, occuper une place essentielle dans la production.

Il a vocation de refléter les luttes héroïques en faveur du socialisme, de montrer les différents types de héros qui construisent le socialisme, de refléter la voie historique du prolétariat et de son parti, l'histoire de la guerre civile, etc. Toutefois, cela ne signifie nullement que ce programme se fasse au détriment des films techniques et de formation.

null

Ce détournement de la juste ligne, dans la politique des organisations de cinéma, ne peut et ne doit pas trouver à s'exprimer.

Ça a été, dans une large mesure, le cas jusqu'à présent en raison d'une certaine bureaucratisation de l'appareil de Soiouzkino, qui n'accordait pas d'autonomie opérative aux différents maillons du système (trusts locaux, studios, etc.). La nécessité s'impose désormais de réorganiser Soiouzkino, de créer au sein de cette association une série de trusts nationaux (vsiésoiouznyé - E.S.) autonomes, dont un trust spécialisé dans les films techniques et de formation.

Ces mesures n'épuisent pas la nécessaire réorganisation de l'industrie du cinéma, non plus que l'amélioration de son travail. Jusqu'à présent, Soiouzkino n'avait pas prêté une suffisante attention au développement du cinéma dans les républiques dans les régions nationales.

Elle a eu tendance, au contraire, à limiter les fonctions de production des organismes de cinéma des différentes républiques (par exemple, Oukraïnfilm), ne leur laissant que les tâches de diffusion.

Il faut rapidement changer cette "politique" de Soiouzkino, renforcer l'organisation de nouveaux trusts dans les républiques de l'Union comme base à la production de films artistiques. Les Comités Centraux du parti dans les républiques doivent renforcer la direction de ces trusts, leur appareil, y introduire de nouveaux cadres communistes prolétariens.

La cinématographie est une branche majeure de l'industrie. A l'occasion du XVème congrès du parti, le camarade Staline avait déjà souligné son immense signification économique et politique et l'obligation d'attribuer à cette activité "des hommes de choc pris dans les rangs des véritables bolcheviks".

Pourtant, la dimension économique de l'industrie du cinéma n'est pas très brillante. Jusqu'à présent, la majorité des studios n'a pas de direction unique, elle manque d'une sévère discipline de travail, elle ne parvient pas à satisfaire à l'autofinancement. Le relâchement dans la discipline petit- bourgeois, "bohème", n'a pas sa place dans les studios : il entraîne des gaspillages improductifs en moyens financiers et matériels, en personnels, etc.

Associée à un considérable ralentissement dans la défense des films (de la diffusion), spécialement des films techniques et de ceux produits par les trusts nationaux, cette politique produit des phénomènes malsains dans les finances de l'industrie du cinéma. Elle freine le développement de la culture nationale dans le domaine du cinéma, au moins autant qu'elle est politiquement archinuisible.

L'ensemble des organisations du parti, sociales, syndicales, le komsomol sont tenus d'apporter une assistance aux organes du cinéma, de les aider à se reconstruire un encadrement. Ce n'est qu'à cette seule condition que les travailleurs de l'industrie du cinéma, et d'abord les communistes, pourront refondre leur travail, surmonter les barrières opportunistes et bureaucratiques qui existent encore dans le cinéma.

Le cinéma soviétique doit se débarrasser, dans les délais les plus rapides, de toutes ses carences, pour satisfaire pleinement les exigences toujours croissantes des vastes masses prolétariennes et kolkhoziennes.

Notre cinéma peut et doit donner au pays des dizaines et des centaines d'oeuvres d'art dignes de la grande époque de luttes qu'il connaît en faveur de la victoire finale du socialisme.tances cinématographiques. L'accroissement de la production de films techniques et de formation revêt une importance majeure.

Ce point a été spécialement souligné par un décret du C.C. du parti relatif à la propagande technique, laquelle se trouve, pour l'instant, dans un état parfaitement embryonnaire. La direction et l'appareil de Soiouzkino n'accordent pas une attention suffisante à cette activité de première importance.

Ils en freinent souvent le développement. Dans sa plus récente circulaire, la direction de Soiouzkino propose même de réduire la place du film technique, ce qui est totalement inadmissible.

Le film artistique de masse doit, naturellement, occuper une place essentielle dans la production.

Il a vocation de refléter les luttes héroïques en faveur du socialisme, de montrer les différents types de héros qui construisent le socialisme, de refléter la voie historique du prolétariat et de son parti, l'histoire de la guerre civile, etc. Toutefois, cela ne signifie nullement que ce programme se fasse au détriment des films techniques et de formation.

Ce détournement de la juste ligne, dans la politique des organisations de cinéma, ne peut et ne doit pas trouver à s'exprimer. Ça a été, dans une large mesure, le cas jusqu'à présent en raison d'une certaine bureaucratisation de l'appareil de Soiouzkino, qui n'accordait pas d'autonomie opérative aux différents maillons du système (trusts locaux, studios, etc.).

La nécessité s'impose désormais de réorganiser Soiouzkino, de créer au sein de cette association une série de trusts nationaux (vsiésoiouznyé - E.S.) autonomes, dont un trust spécialisé dans les films techniques et de formation.

Ces mesures n'épuisent pas la nécessaire réorganisation de l'industrie du cinéma, non plus que l'amélioration de son travail. Jusqu'à présent, Soiouzkino n'avait pas prêté une suffisante attention au développement du cinéma dans les républiques dans les régions nationales.

Elle a eu tendance, au contraire, à limiter les fonctions de production des organismes de cinéma des différentes républiques (par exemple, Oukraïnfilm), ne leur laissant que les tâches de diffusion.

null

Il faut rapidement changer cette "politique" de Soiouzkino, renforcer l'organisation de nouveaux trusts dans les républiques de l'Union comme base à la production de films artistiques. Les Comités Centraux du parti dans les républiques doivent renforcer la direction de ces trusts, leur appareil, y introduire de nouveaux cadres communistes prolétariens.

La cinématographie est une branche majeure de l'industrie. A l'occasion du XVème congrès du parti, le camarade Staline avait déjà souligné son immense signification économique et politique et l'obligation d'attribuer à cette activité "des hommes de choc pris dans les rangs des véritables bolcheviks".

Pourtant, la dimension économique de l'industrie du cinéma n'est pas très brillante. Jusqu'à présent, la majorité des studios n'a pas de direction unique, elle manque d'une sévère discipline de travail, elle ne parvient pas à satisfaire à l'autofinancement. Le relâchement dans la discipline petit- bourgeois, "bohème", n'a pas sa place dans les studios : il entraîne des gaspillages improductifs en moyens financiers et matériels, en personnels, etc.

Associée à un considérable ralentissement dans la défense des films (de la diffusion), spécialement des films techniques et de ceux produits par les trusts nationaux, cette politique produit des phénomènes malsains dans les finances de l'industrie du cinéma. Elle freine le développement de la culture nationale dans le domaine du cinéma, au moins autant qu'elle est politiquement archinuisible.

null

L'ensemble des organisations du parti, sociales, syndicales, le komsomol sont tenus d'apporter une assistance aux organes du cinéma, de les aider à se reconstruire un encadrement. Ce n'est qu'à cette seule condition que les travailleurs de l'industrie du cinéma, et d'abord les communistes, pourront refondre leur travail, surmonter les barrières opportunistes et bureaucratiques qui existent encore dans le cinéma.

Le cinéma soviétique doit se débarrasser, dans les délais les plus rapides, de toutes ses carences, pour satisfaire pleinement les exigences toujours croissantes des vastes masses prolétariennes et kolkhoziennes.

Notre cinéma peut et doit donner au pays des dizaines et des centaines d'oeuvres d'art dignes de la grande époque de luttes qu'il connaît en faveur de la victoire finale du socialisme.

EISENSTEIN : Le montage des attractions

Additif à la mise en scène de la pièce d'Ostrovsky : Assez de simplicité chez chaque homme sage au Proletkult de Moscou

A -- LA LIGNE THEATRALE DU PROLETKULT

En deux mots : Le programme théâtral du Proletkult n'est pas « l'utilisation des richesses du passé » ni « l'invention de nouvelles formes de théâtre », mais la suppression de l'institution du théâtre en tant que telle, et le remplacement du stade démonstratif de ses succès par l'élévation du niveau de qualification de l'équipement des masses pour tout ce qui concerne la vie quotidienne.

L'organisation des ateliers et l'élaboration d'un système scientifique destiné à l'élévation de cette qualification est la première mission de la section scientifique du Proletkult dans le domaine du théâtre.

Tout ce qui se fait par ailleurs reste sous le signe du « temporaire » ; de la réalisation de tâches accessoires, qui ne sont pas essentielles pour le Proletkult.

Ce travail « temporaire » se développe selon deux lignes sous le signe commun d'un contenu révolutionnaire.

1 — La première est celle d'un théâtre narratif et figuratif (statique, prosaïque. Il constitue l'aile droite : « Les Aubes du Proletkult » « Lena » et toute une suite de mises en scènes non terminées de ce même type, de la ligne de l'ancien théâtre ouvrier auprès du comité central du Proletkult).

null

2 — La seconde est celle d'un théâtre d'agitation et d'attraction (dynamique et excentrique). Il constitue l'aile gauche et suit la ligne mise en avant par G.

Arbatov et moi-même pour le travail de la troupe ambulante du Proletkult de Moscou.
Cette voie s'est déjà profilée quoique à l'état embryonnaire, mais avec suffisamment de précision, dans la mise en scène du Mexicain que votre serviteur a effectuée en collaboration avec V.S. Smichliaev (Premier studio du Théâtre d'Art).

Puis une divergence profonde à l'étape suivante de notre travail en commun (Au-dessus du ravin de U. Pletnev) conduisit à une rupture et à un travail séparé qui se manifeste par Le Sage et [...] La Mégère apprivoisée, sans parler de la Théorie de la construction de l'espace scénique de Smichliaev, qui ne fait que survoler les meilleures réalisations du Mexicain.

Je considère cette digression nécessaire dans la mesure où tous les articles critiques portant sur le Sage et qui tentent de mettre à jour ses points communs avec n'importe quel autre spectacle, oublient systématiquement de rappeler Le Mexicain (janvier-mars 1921) alors que Le Sage et toute la théorie de l'attraction ne sont que le perfectionnement à long terme et le développement logique de ce que j'avais introduit dans cette première mise en scène.

3 — Le Sage, commencé avec la troupe ambulante du Proletkult (et terminée avec la fusion des deux troupes) est le premier travail « d'agitation » basé sur une nouvelle méthode de la construction du spectacle.

B — LE MONTAGE DES ATTRACTIONS

Ce terme est employé pour la première fois et demande à être éclairci...

Les moyens fondamentaux du théâtre naissent du spectateur lui-même — et du fait que nous menons le spectateur dans la direction que nous voulons (ou dans l'atmosphère que nous voulons), ce qui est la tâche primordiale de tout théâtre fonctionnel d'agitation, de propagande, (pamphlet, éducation, etc.).

Les moyens d'action, dans ce but, peuvent être trouvés dans tous les accessoires négligés du théâtre (Le « bagout » d'Ostuzhev aussi bien que la couleur du maillot de la prima donna, un roulement de tambours, aussi bien que le monologue de Roméo, le grillon du foyer autant que les coups de feu tirés au-dessus des têtes des spectateurs).

Car chacun d'eux, à sa façon, est ramené à une même unité qui légitime leur existence et qui est leur qualité commune d'attraction.

null

L'attraction (dans notre diagnostic du théâtre) en est chaque moment agressif — c'est-à-dire tout élément théâtral qui fait subir au spectateur une pression sensorielle ou psychologique — tout élément qui peut être mathématiquement calculé et vérifié de façon à produire telle ou telle émotion choc.

Celle-ci sera située à sa place convenable dans l'ensemble de l'ouvrage. Ce sont là les seuls moyens grâce auxquels il est possible de rendre compréhensible le message, la conclusion idéologique de l'œuvre. (Ce chemin de la connaissance — «à travers le jeu vivant des passions » — Rapplique spécialement au théâtre).

Naturellement, aussi bien sensuel que psychologique, dans le sens de l'action la plus efficace, — aussi directement actif qu'au théâtre~du Grand Guignol de Paris, sur la scène, où l'on arrache un œil à un acteur, ou bien l'on ampute un bras ou une jambe sous les yeux mêmes du public ; ou bien, où l'on introduit dans l'action un coup de téléphone, pour décrire une action particulièrement effroyable qui a lieu à quelques dix kilomètres de là ; ou bien où l'on introduit une situation où un ivrogne sent sa fin proche et dont on prend les supplications et l'appel au secours pour de la folie.

Plutôt donc dans ce sens que dans cette branche du théâtre psychologique où l'attraction ne réside que dans le thème lui-même, existe et agit en dehors de l'action, même si le thème est suffisamment d'actualité (l'erreur commise par la plupart des théâtres « d'agitation » est de se contenter de telles attractions dans leurs mises en scène).

Je considère l'attraction comme étant un élément indépendant et initial dans la construction d'une production théâtrale — une unité moléculaire — c'est-à-dire une composante de l'efficience du théâtre, du théâtre en général.

Cela est en tous points semblable au « magasin d'images » qu'utilise George Grosz, ou aux éléments d'illustration photographique (photo-montage) qu'emploie Rodchenko.

Aussi difficile que cela puisse être de délimiter une composante, celle-ci s'achève très certainement avec le héros noble, fascinant (le moment psychologique), et commence au moment où se concentre son charme personnel (c'est-à-dire son activité erotique) ; l'effet lyrique de certaines scènes de Chaplin est indissociable des attractions qu'exercent la mécanique bien définie de ses mouvements ; il est tout aussi difficile de préciser la frontière à partir de laquelle le pathétique religieux se transforme en satisfaction sadique, au moment des scènes de tortures des représentations du théâtre de mystères, etc.

L'attraction n'a rien à voir avec le truc. Les trucs sont réalisés et achevés sur le plan de pur « métier » (surtout les trucs acrobatiques), et ne constituent que l'un des genres d'attraction lié au processus par lequel on se donne (ou, dans le jargon du cirque, « on se vend »).

Comme cette expression de cirque, l'indique bien, dans la mesure où il s'agit clairement du point de vue de l'exécutant, le truc est à l'opposé de l'attraction — qui est uniquement basée sur la réaction du public.

null

Une approche authentique montre que l'attraction change fondamentalement les principes de construction et rend possible le développement d'une mise en scène active.

Au lieu du « reflet » statique d'un événement où toutes les possibilités d'expression sont maintenues dans les limites du déroulement logique de l'action, apparaît une nouvelle forme — le montage libre d'attractions indépendantes et arbitrairement choisies indépendantes de l'action proprement dite (choisies toutefois selon la continuité logique de cette action) — le tout concourant à établir un effet thématique final, tel est le montage des attractions.

Le théâtre est obligé de résoudre le problème qui consiste à transformer ses « images illusoires » et ses « présentations » en un montage de « choses réelles » tout en incluant dans le montage des « pièces entières de représentation », liées au développement de l'action, désormais, non plus comme force en soi et toute puissante, mais choisies pour leur force pure et participant consciemment à l'ensemble de la production, autant que peuvent l'être des attractions actives.

Ce n'est pas sur la « révélation » des intentions de l'auteur dramatique, ou sur « l'interprétation correcte des idées de l'auteur », ou sur « l'image réelle d'une époque », qu'une production théâtrale peut être basée. La seule base solide et efficace pour l'action de cette production ne peut s'établir que sur des attractions et sur leur système.

Tout metteur en scène ayant un minimum de pratique emploie d'une façon ou d'une autre, instinctivement, l'attraction non plus sur le plan du montage ou de la construction, mais comme un élément de la « composition harmonique » (d'où dérive tout un jargon : « une sortie réussie », « une belle chute de rideau », « un superbe tour de force »), mais ceci n'existe que dans le cadre de la vraisemblance du sujet, inconsciemment en général, et dans la poursuite de quelque chose totalement différent de ce qui a été énuméré plus haut.

Ce qui nous reste à faire en retravaillant le système de mise en scène, est de porter le centre d'attention à ce qui est nécessaire, considéré auparavant comme superflu, comme un simple ornement et qui apparaît en fait comme le guide essentiel des intentions normales de mise en scène ; et sans nous sentir liés par un respect logique et naturel envers la tradition littéraire.

Notre travail est d'établir cette méthode comme une méthode de production (ce qui a été la tâche du Studio de Culture Prolétarienne depuis l'automne 1922).

Une école pour le monteur peut être trouvée au cinéma, et surtout au music-hall et au cirque, car à proprement parler, faire un bon spectacle (du point de vue formel), c'est construire un programme solide à base de music-hall et de cirque, en partant de la pièce qu'on a choisie, comme exemple — l'énumération de la partie des numéros de l'épilogue du Sage : 1) monologue d'exposition du héros, 2) passage d'un film policier (le vol du journal),

null

3) une entrée musicale excentrique : la fiancée et trois prétendants repoussés (d'après la pièce, un seul visage) dans le rôle de garçons d'honneur ; scène de tristesse sous forme de couplets « Vos doigts sentent l'encens » et « Tant pis la tombe » (En projet — xylophone pour la fiancée et jeu de grelots sur les boutons des officiers),

4, 5, 6) trois entrées sur deux motifs, parallèles et clownesques (thème du paiement pour l'organisation de la noce),

7) entrée de l'étoile (la tante) et des trois officiers (thème du retard des fiancés repoussés), passage calembouresque à travers le rappel au souvenir du cheval au numéro de voltige à trois à cru sur un cheval (comme il est impossible de l'introduire dans la salle — traditionnel « cheval à trois »),

8) chœurs de chants d'agitation politique ; « le pope avait un chien », sous eux un pope en caoutchouc sous forme de chien (thème du début de la célébration du mariage), 9) éclatement de l'action (voix du marchand de journaux pour la sortie du héros), 10) apparition du criminel masqué, passage d'un film comique (résumé des 5 actes de la pièce dans les transformations de Gloumov, thème de la publication du journal), 11) prolongation de l'action (interrompue) dans un autre groupe (mariage avec les trois repoussés simultanément),

12) couplets antireligieux « Alla verdi » thème calembouresque — nécessité d'attirer le mallah, malgré la grande quantité de fiancés en présence de la fiancée seule, chœur et un nouveau personnage utilisé seulement dans ce numéro -— un soliste en costume de mallah, 13) danse collective, jeu avec la pancarte « la religion est l'opium du peuple », 14) scène de farce : on place la femme et les trois maris dans une caisse, on frappe sur le couvercle avec des pots,

15) trio parodique : « qui est jeune chez nous », 16) rupture de l'action, retour du héros, 17) vol du héros accroché par une longe au-dessus d'une coupole (thème du suicide provoqué par le désespoir), 18) éclatement de l'action — retour du criminel, le suicide est en sursis, 19) combat d'espadons (thème de l'animosité), 20) entrée d'agitation politique du criminel et du héros sur le thème de la N.E.P., 21) acte sur le fil incliné : passage du criminel au-dessus des têtes des spectateurs du manège au balcon (thème du « départ pour la Russie »), 22) parodie clownesque de ce numéro par le héros et saut du fil,

23) arrivée sur les dents sur ce même fil du balcon, du roux, 24) entrée finale de deux roux qui s'arrosent mutuellement d'eau, elle se termine par l'annonce de la a fin », 25) pétard sous les places des spectateurs comme accord final.

Les moments qui lient les numéros s'il n'y a pas d'enchaînement direct s'utilisent comme des éléments de liaison et peuvent être : une disposition différente des appareils, une interruption musicale, une danse, une pantomime, des acrobaties sur le tapis.

Manifeste « contrepoint orchestral »

L'avenir du film sonore
S. ElSENSTElN
V. POUDOVKÏNE
G. ALEXANDROFF
Octobre 1928

Le rêve depuis longtemps caressé du cinéma sonore est maintenant une réalité.
Les Américains ont inventé la technique du film sonore et l'ont amené à son premier degré d'utilisation pratique et rapide.

L'Allemagne, également, travaille très intensivement dans le même sens.
Partout dans le monde on parle de ce « Muet » qui a enfin trouvé sa voix.
Nous, qui travaillons en U.R.S.S., nous avons pleinement conscience que nos ressources techniques ne sont pas de nature à nous permettre d'espérer un succès pratique et rapide dans cette voie.

Au reste, il paraît intéressant d'énumérer un certain nombre de considérations préliminaires de nature théorique, d'autant plus que d'après les nouvelles qui nous parviennent, l'on semble orienter ce nouveau perfectionnement du cinématographe sur une mauvaise voie.

Car une conception fausse des possibilités de cette nouvelle découverte technique peut non seulement gêner le développement et le perfectionnement du cinéma-art, mais pourrait encore anéantir tous ses acquis formels actuels.

Le cinéma contemporain, opérant comme il le fait au moyen d'images visuelles, produit une impression puissante sur le spectateur et occupe à juste titre un des premiers rangs dans le domaine des arts.

Comme l'on sait, le moyen fondamental — et d'ailleurs unique — par lequel le cinéma a été capable d'atteindre un aussi haut degré d'efficacité est le, montage.
L'affirmation du montage, comme principe essentiel d'action, est l'indiscutable axiome sur lequel a été basée la culture cinématographique mondiale.

Le succès universel des films soviétiques est dû pour une large part à un certain nombre de principes du montage, qu'ils furent les premiers à découvrir et à développer.

1. — Aussi, pour le développement futur du cinéma, les seules phases importantes sont celles qui sont calculées dan s le but de renforcer et de développer ces procédés de montage pour produire un effet sur le spectateur.

En examinant chaque nouvelle découverte et en partant de ce point de vue, il est aisé de démontrer le peu d'intérêt que présente le cinéma en couleur et en relief en comparaison de la haute signification du son.

2. - Le film sonore est une arme à deux tranchants, et son utilisation la plus probable suivra la ligne de moindre résistance, c'est-à-dire simplement celle de la satisfaction de la curiosité du public.

Tout d'abord nous assisterons à l'exploitation commerciale de la marchandise la plus facile à fabriquer et à vendre : le film parlant, celui dans lequel l'enregistrement de la parole coïncidera de la façon la plus exacte et la plus réaliste avec le mouvement des lèvres sur l'écran et dans lequel le public aura « l'illusion » d'entendre des gens qui parlent, des objets qui résonnent, etc.

Cette première période de sensation ne portera pas préjudice au développement du nouvel art, mais il y aura une seconde période — terrible celle-là.

Cette période viendra avec le déclin de la première réalisation des possibilités pratiques, au moment où on tentera de lui substituer systématiquement des drames de « haute littérature » et autres essais d'invasion du théâtre à l'écran. Utilisé de cette façon, le son détruira l'art du montage.

Car toute addition de son à des fractions de montage intensifiera leur inertie en tant que telles et enrichira leur signification intrinsèque, et cela sera sans aucun doute au détriment du montage, qui produit son effet non par morceaux, mais bien, par-dessus tout, parl a réunion bout à bout des morceaux.

3.- Seule l'utilisation du son en guise de contrepoint vis-à-vis d'un morceau de montage visuel offre de nouvelles possibilités de développer et de perfectionner le montage.
Les premières expériences avec le son doivent être dirigées vers sa « non-coïncidence » avec les images visuelles.

Cette méthode d'attaque seule produira la sensation recherchée qui conduira, avec le temps, à la création d'un nouveau contrepoint orchestral d'images-visions et d'images-sons.

4. — La nouvelle découverte technique n'est pas une phase hasardeuse dans l'histoire du cinéma, mais un débouché naturel pour l'avant-garde de la culture cinématographique, et grâce à laquelle on peut échapper d'un grand nombre d'impasses qui paraissaient inéluctables.

La première impasse est le sous-titre, en dépit des innombrables tentatives qu'on avait faites pour l'incorporer au mouvement ou aux images du film (son éclatement en plusieurs parties, l'agrandissement ou la diminution de la taille des caractères, etc.).

La seconde impasse est le fatras explicatif (par exemple les plans d'ensemble) qui surcharge la composition des scènes et retarde le rythme.

Chaque jour les problèmes qui concernent le thème et le sujet deviennent plus compliqués. Les tentatives qu'on a faites pour les résoudre par des subterfuges scéniques d'ordre visuel seulement ont pour résultat, ou bien de laisser ces problèmes sans solution, ou bien de conduire le réalisateur à des effets scéniques par trop fantastiques, provoquant la peur de l'hermétisme et de la décadence réactionnaire.

Le son, traité en tant qu'élément du montage (et comme élément indépendant de l'image visuelle), introduira inévitablement un moyen nouveau et extrêmement effectif d'exprimer et de résoudre les problèmes complexes auxquels nous nous sommes heurtés jusqu'à présent, et que nous n'avions pu résoudre en raison de l'impossibilité où l'on était de leur trouver une solution à l'aide des méthodes incomplètes du cinéma qui utilise les seuls éléments visuels.

5. — La « méthode du contrepoint» appliquée, à la construction du film sonore, non seulement n'altérera pas le caractère international du cinéma, mais rehaussera encore sa signification et son pouvoir de culture à un degré inconnu jusqu'à présent.

En appliquant cette méthode de construction, le film ne sera pas confiné dans les limites d'un marché national, comme c'est le cas avec les drames de théâtre et comme ce sera le cas avec les drames de théâtre filmés. En outre il y aura une possibilité plus grande encore que par le passé de faire circuler à travers le monde des idées susceptibles d'être exprimées au moyen du film, en leur conservant une rentabilité mondiale.

Cliquez ici pour revenir à la page principale